Port de signes religieux au travail

La polémique relative au port de signes religieux au travail apparait relative récente.

Cette question n’était pas particulièrement visée par la célébre loi du 9 décembre 1905 qui a entériné la séparation des Eglises et de l’Etat en disposant en son article 1er que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ». Toutefois, au nom du principe de laïcité, elle disposait également en son article 2 que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

Cette notion de laïcité, qui paraissait simple au premier abord, est pourtant aujourd’hui fréquemment débattue tant sa définition et son régime ont des contours flous.

De nombreuses incertitudes persistent sur son champ d’application et de nouvelles tensions surgissent en France sur l’interaction entre liberté religieuse et laïcité : la question du port du voile dans l’espace public, et en particulier dans le monde du travail, a notamment cristallisé toutes les passions.

Irruption de la liberté de religion dans le monde du travail

La liberté de religion dans le monde du travail est reconnue tant au plan international et européen qu’au plan interne :

A ce sujet les sources européennes sont essentielles car leur respect est garanti par un mécanisme juridictionnel contraignant.

L’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme prévoit par conséquent que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

Mais si la liberté religieuse relève d’abord du for intérieur, elle implique nécessairement et corrélativement la liberté de manifester sa religion et c’est par ce biais que ces questions ont fait irruption dans le monde du travail.

C’est donc au nom de la liberté de manifester ses convictions religieuses que la Cour Européenne des Droits de l’Homme a successivement condamné la Grèce et le Royaume-Uni par deux arrêts rendus le 25 mai 1993 (Kokkinakis contre Grèce) et le 15 janvier 2013 (Eweida contre la Grande Bretagne)

En effet, selon l’arrêt de la CEDH du 25 mai 1993 Kokkinakis contre Grèce, « le témoignage, en paroles et en actes, se trouve lié à l’existence de convictions religieuses« 

Dans le prolongement de cet arrêt, la Cour Européenne des Droits de l’Homme donnait raison le 15 janvier 2013 à Mme Eweida qui revendiquait le droit de porter au travail un signe vestimentaire manifestant son appartenance religieuse.

Le contentieux avait ici trait au port d’une petite croix par une agent d’escale de British Airways. La compagnie, estimant qu’il s’agissait d’une violation du « code vestimentaire » en vigueur, avait pris une sanction de mise à pied à l’encontre de son employée puis l’avait affectée à un poste sans contact avec le public. Ce n’est qu’en février 2007, après une modification du code vestimentaire, qu’elle fut autorisée à réintégrer ses fonctions en portant une croix. L’équivalent britannique du Conseil de Prud’hommes refusa cependant sa demande d’indemnisation de la perte de salaire subi en raison de sa mise à pied.

Son avocat a alors sollicité l’arbitrage de la Cour Européenne des droits de l’Homme qui lui a donné raison. Pour la Cour en effet, le juge anglais avait attribué trop d’importance au souhait de l’entreprise de contrôler son image laïque. Cette préoccupation ne pouvait justifier l’interdiction complète de port de signes religieux discrets. De plus, d’autres employés avaient été autorisés à porter un turban. Mme Eweida était donc manifestement victime de discrimination de la part de son employeur qui portait en outre atteinte à son droit de manifester sa religion librement.

Cette manifestation, qui ne peut en elle-même être qualifiée d’ostentatoire, peut se concrétiser de différentes manières, en particulier via le port de signes religieux.

Mais à la différence de la liberté de croire qui ne peut souffrir d’aucune restriction, la liberté de manifester ses convictions religieuses peut heurter d’autres intérêts protégés, que ce soit l’ordre public ou encore les droits et libertés d’autrui comme celles de l’employeur. Des restrictions peuvent donc y être apportées.

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