Sur la preuve du harcèlement moral
La preuve du harcèlement moral est toujours délicate car elle est empreinte d’une forte part de subjectivité et elle peut s’avérer difficile à rapporter. C’est pourquoi, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 ainsi que la loi du 3 janvier 2003 ont aménagé le régime de la charge de la preuve.
Sous la loi de 2003, si un salarié s’estimait victime d’un harcèlement moral, il devait uniquement établir des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Il s’agissait d’établir des présomptions d’existence d’harcèlement moral et il incombait donc à l’employeur de « prouver que ses agissements n’étaient pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».
La loi du 8 août 2016 a assoupli la charge de la preuve au profit du salarié (mais également au profit du candidat à un emploi ou à un stage ou à une période de formation en entreprise), puisqu’il doit désormais présenter, et non établir, des « éléments de faits laissant supposer » l’existence d’un harcèlement.
L’article L1154-1 du Code du travail prévoit donc ces nouvelles dispositions en indiquant que « le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ».
Dès lors qu’un salarié produit des pièces pouvant laisser présumer un harcèlement moral, il appartient à l’employeur de prouver que le harcèlement n’est pas constitué. Les juges ne peuvent donc pas faire peser la charge de la preuve du harcèlement uniquement sur le salarié.
D’ailleurs, jusqu’en 2016, la Cour de Cassation veillait à ce que les Cour d’appel – et donc en première instance les Conseils de Prud’hommes – procèdent vigoureusement au contrôle des faits rapportés par le salarié ; les juges devant appréhender ces faits dans leur ensemble et rechercher s’ils permettaient de présumer l’existence du harcèlement allégué.
Toutefois, depuis un arrêt du 8 juin 2016, la Cour de cassation ne contrôle plus les juges du fond et précise le régime probatoire du harcèlement :
« pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral (…) ; dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ».
Mais surtout, elle semble abandonner le contrôle de la qualification de celui-ci, estimant que « sous réserve d’exercer son office dans les conditions qui précèdent, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement ».
Dès lors, une fois que le salarié et l’employeur auront produit leurs éléments conformément à l’article L1154-1 du Code du travail, l’appréciation de ceux-ci ne sera plus remise en cause par la Cour de cassation.
Cette appréciation revenant souverainement au Conseil des Prud’hommes et à la Cour d’appel.
Sur les auteurs et victimes de harcèlement moral
Le harcèlement moral peut être le fait de l’employeur, de son représentant ou d’un supérieur hiérarchique mais cette liste n’est pas limitative. Il peut également être exercé entre collègues n’ayant pas de rapport hiérarchique, ou être le fait d’un subordonné envers son supérieur hiérarchique.
Les victimes de harcèlement moral peuvent être des salariés, des personnes en formation ou en stage quel que soit la nature de leur contrat.
D’autres catégories de travailleurs bénéficient de cette protection contre le harcèlement moral comme les employés de maison, les concierges et employés d’immeubles à usage d’habitation, les assistants maternels, et les fonctionnaires et agents publics non titulaires, selon un régime adapté.
Sur la durée du harcèlement moral
Il s’agit encore d’une notion très subjective puisque le Code du travail ne définit aucune notion de durée sur le harcèlement moral. Voir notamment ici sur l’hypothèse particulière de la « mise au placard »
En effet, l’article L. 1152-1 du code du travail définit le harcèlement moral comme des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En revanche, aucune référence à la durée des agissements n’est faite. La Cour de Cassation en a donc déduit, par son arrêt du 26 Mai 2010, que les faits constitutifs de harcèlement moral pouvaient se dérouler sur une brève période. En effet, ce qui semble important, ce n’est pas la durée du harcèlement moral mais bien son intensité, attentatoire à la dignité et à la santé du salarié.
Il suffit par conséquent que la situation soit susceptible de porter atteinte aux droits de la personne qui se dit victime de harcèlement moral, à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, sans aucune notion de durée.
Sur le comportement de la victime de harcèlement moral
Le Conseil d’Etat dans un arrêt du 11 Juillet 2011 a considéré que le comportement de la victime d’un harcèlement moral n’a pas à être retenu comme cause exonératoire de la responsabilité de l’auteur des faits de harcèlement moral.
Pour le Conseil d’Etat « pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé. »
Nadia TIGZIM
Avocat en droit du travail