La demande de requalification en bail commercial d’une convention sur le fondement de l’article L 145-15 sur les clauses réputées non écrites a fait l’objet d’un arrêt de rejet rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, le 7 décembre 2022, (pourvoi n°21-23.103) publié au Bulletin, ce qui présuppose son importance doctrinale.
En l’espèce, par un acte du 16 juillet 2009, une société commerciale a donné à bail à une autre société un terrain nu pour une durée de sept années. Ledit terrain était destiné à supporter une station de lavage entièrement démontable. Le 24 novembre 2015, la bailleresse a donné congé à la locataire pour le 30 juin 2016. Puis, le 27 juin 2017, la bailleresse l’a assignée en expulsion et paiement d’une indemnité d’occupation, devant le Tribunal de Grande Instance.
Le 12 décembre 2018, pour se défendre, la locataire a formé une demande reconventionnelle, en demandant l’annulation du congé du bail litigieux sur le fondement de l’infraction à la durée du contrat de bail commercial.
Par un arrêt du 29 juillet 2021, la Cour d’appel de Pau a déclaré la demande de la locataire prescrite depuis le 16 juillet 2011 en considérant que la demande de la locataire était une demande de requalification du contrat en bail commercial.
La locataire a alors formé un pourvoi en cassation en faisant valoir que la Cour d’appel de Pau aurait violé, par refus d’application, l’article L. 145-15 du Code de commerce qui déclare non écrites les clauses contrevenant aux dispositions d’ordre public relatives à la durée du bail commercial et qu’en conséquence son action tendant à voir déclarer non-écrite une clause du bail litigieux comportant une telle infraction et limitant la durée du bail à sept ans n’était pas soumise à prescription.
Selon l’article L. 145-15 du Code de commerce sont réputés non écrites, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec :
● au droit de renouvellement institué par le chapitre V du titre IV du livre Ier, portant sur le bail commercial
● ou aux dispositions des articles L. 145-4 du Code de commerce (la durée du bail commercial), L. 145-37 à L. 145-41 du Code de commerce (le loyer du bail commercial), du premier alinéa de l’article L. 145-42 du Code de commerce (la résiliation du bail commercial) et des articles L. 145-47 à L. 145-54 du Code de commerce (la déspécialisation)
Exclusion de la législation sur les clauses réputées non écrites à la requalification du bail commercial
Or, les arguments de la locataire n’ont pas convaincu la plus haute juridiction, car celle-ci a approuvé l’arrêt de la Cour d’appel de Pau : “La cour d’appel a énoncé, à bon droit, que l’article L. 145-15 du Code de commerce réputant non écrites certaines clauses d’un bail, n’est pas applicable à une demande en requalification d’un contrat en bail commercial”.
La législation relative aux clauses réputées non écrites n’est donc applicable qu’aux baux commerciaux statutaires en cours et non à la demande visant à requalifier une convention en bail commercial soumis au statut.
Conformément à la jurisprudence classique en la matière, la Cour de Cassation a également retenu que la demande de la locataire, qui tendait à la requalification en bail statutaire de la convention de location de terrain nu, était soumise à la prescription de deux ans commençant à courir à compter de la conclusion de la convention.
Pour bien comprendre la décision de la Cour d’appel, il convient de rappeler que le statut des baux commerciaux prévoit de nombreuses dispositions d’ordre public au bénéfice des commerçants locataires auquel il est impossible de déroger. Les clauses qui contreviennent à ces dispositions d’ordre public sont réputées « non écrites » de sorte que leur contestation est imprescriptible.
Ce dispositif est-il applicable à une demande de requalification du bail? La réponse de la Cour de Cassation est fermement négative dans la mesure où la possibilité de demander la requalification du bail était déjà éteinte par l’effet de la prescription biennale.
En effet, la qualification du bail commercial ne dépend pas de la seule volonté des parties. Le juge peut être invité à opérer une requalification d’un acte quelconque en bail commercial. En l’espèce, la location portant sur le terrain nu conclu le 16 juillet 2009 n’était pas un bail commercial puisqu’elle n’avait qu’une durée de sept ans. La demande de la locataire sollicitant l’annulation du congé sur le fondement de la législation sur les clauses réputées non écrites était donc soumise à une demande préalable en requalification de la location litigieuse en bail commercial.
Or, l’article L. 145-60 du Code de commerce prévoit une prescription de deux ans pour toutes les actions exercées en vertu du chapitre V du titre IV du livre Ier, portant sur le bail commercial. Toutefois, “le point de départ du délai de la prescription biennale applicable à la demande tendant à la requalification d’une convention en bail commercial court à compter de la date de conclusion du contrat” ( voir notamment arrêt du 29 novembre 2018, pourvoi n°17-24.715, rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation).
Dans l’arrêt du 7 décembre 2022 faisant l’objet du commentaire, la location litigieuse a été conclue en 2009 alors que la demande reconventionnelle de la locataire en requalification n’a été formée qu’en 2018, soit neuf années suivant la conclusion du contrat. Ainsi, l’action de la locataire était déjà prescrite.
Le recours à la notion de fraude au statut
Cette prescription biennale constitue donc un véritable obstacle à la demande du locataire visant à faire reconnaître l’existence d’une clause réputée non écrite.
Cependant, il existe une possibilité pour le locataire d’invoquer la fraude du bailleur consistant à contourner les dispositions applicables aux baux commerciaux. En effet, dans un arrêt du 23 septembre 2021 (pourvoi n° 20-10.812), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a rappelé qu’il résulte de la combinaison de l’article L. 145-60 du Code de commerce et du principe selon lequel la fraude corrompt tout que la fraude suspend le délai de prescription biennale applicable aux actions au titre d’un bail commercial. C’est sur ce fondement juridique que la Cour de cassation a cassé l’arrêt du 23 octobre 2019 rendu par la Cour d’appel de Colmar qui avait déclaré irrecevable l’action en requalification en contrat de bail commercial, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si une fraude, dont l’existence était invoquée, n’était pas de nature à suspendre la prescription biennale.
Dans une autre affaire (voir arrêt du 19 novembre 2015 (pourvoi n°14-13.882), une fraude a été caractérisée par la Cour d’appel de Paris. En l’occurrence, un contrat de prestation de services réciproques avait été conclu pour une durée indéterminée. Dans le cadre dudit contrat, une société a donné à une autre société la jouissance d’une boutique à usage commercial en vue de la vente des produits commercialisés sous une marque de la seconde société. En contrepartie, cette dernière verse à la première société une redevance représentant vingt pour cent du chiffre d’affaires hors taxe.
Le 4 mars 2011, la société titulaire des locaux a notifié son intention de résilier le contrat avec effet au 4 janvier 2012. La société bénéficiant de la jouissance des mêmes locaux demande alors la requalification du contrat de prestation de services réciproques en bail commercial. Par un arrêt du 14 janvier 2014, la Cour d’appel de Paris a souverainement retenu une fraude du bailleur, après avoir relevé que le contrat avait été faussement intitulé « contrat de prestations de services réciproques » et que les clauses de mobilité et de durée, qui permettaient unilatéralement au bailleur de faire obstacle à la stabilité du local et de réduire sa superficie, alors que ce local avait été livré brut de décoffrage et aménagé par la locataire, avaient été stipulées dans le but exclusif de contourner le statut des baux commerciaux. Par conséquent, cette fraude avait suspendu la prescription biennale pendant la durée du contrat et l’action en requalification était recevable. La décision de la Cour d’appel de Paris a été approuvée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation.
En pratique, prouver une telle fraude n’est peut-être pas une mince affaire !
Maître Nadia TIGZIM reste à votre disposition pour tout renseignement relatif aux baux commerciaux.