Le régime de la clause “réputée non écrite” vient une nouvelle fois d’être précisé par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt publié au Bulletin le 16 novembre 2023 concernant une clause faisant échec au droit de renouvellement du bail commercial.
Une clause de renonciation à l’indemnité d’éviction est réputée non-ecrite
Dans cette affaire, des propriétaires-bailleurs avaient consenti un bail commercial à une société pour une durée de 9 ans. En infraction flagrante avec le statut des baux commerciaux, ledit bail contenait une clause de renonciation au renouvellement du bail ainsi qu’à l’indemnité d’éviction.
Il faut ici préciser que, avant la loi Pinel du 18 juin 2014, une telle clause était sanctionnée par la nullité mais était soumise à la prescription biennale de l’article L145-60 du Code de commerce.
La loi Pinel est venue apporter des modifications au régime applicable à cette clause qui est désormais considérée comme réputée non-écrite.
L’avantage de ce régime est qu’à la différence d’une clause affectée de nullité, une clause réputée non-écrite n ‘est pas soumise à la prescription et peut être indéfiniment contestée en justice.
Pour en revenir aux faits ayant donné lieu à l’arrêt rendu le 16 novembre 2023, le bail commercial arrive à expiration et se prolonge de manière tacite après la promulgation de la Loi Pinel du 18 juin 2014.
Le 23 septembre 2014, le bailleur, s’appuyant sur sur la clause litigieuse, signifie un congé à la société locataire, sans offre de renouvellement et sans indemnité d’éviction, avec un effet au 31 mars 2015.
Le 7 décembre 2015, la société locataire assigne en justice les propriétaires en annulation du congé et restitution des locaux loués, ou, subsidiairement, en paiement d’une indemnité d’éviction.
La cour d’Appel de Poitiers, donne alors raison à la société locataire, considére que ladite clause est réputée non-écrite et n’est pas affectée par la prescription conformément notamment à l’arret rendu par la Cour de Cassation le 19 novembre 2020 (pourvoi n° 19-20.405) applicable aux baux en cours.
Le risque de « réputé non-ecrit » est encourue même si la prescription est déja acquise
Les propriétaires forment alors un pourvoi en cassation contre l’arrêt rendu le 25 janvier 2022 par la Cour d’Appel de Poitiers, faisant grief à cet arrêt de réputer non écrite la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction alors même que le délai de prescription permettant de contester cette action était déja acquis sous le régime de la nullité antérieur à la loi Pinel.
La Cour d’Appel s’était en effet appuyée sur un arrêt rendu le 19 novembre 2020 dans lequel, la Cour de cassation précise que l’article L 145-15 du code de commerce, modifié par la Loi Pinel, était applicable aux baux en cours. Les clauses du bail en cours, notamment la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction, qui jusqu’alors étaient sanctionnées de nullité biennale deviennent réputée non écrites à l’entrée en vigueur de la loi et ne se prescrivent pas.
La Cour d’Appel de Poitiers a donc jugé que l’action engagée en 2015 par le locataire n’était pas soumise à la prescription biennale au motif que la loi nouvelle régissait immédiatement les effets légaux des situations juridiques antérieures à son entrée en vigueur et non définitivement réalisées.
En l’espèce, d’après la Cour d’Appel, le bail commercial s’était tacitement prolongé et était encore en cours lors de l’entrée en vigueur de la loi Pinel le 18 juin 2014, car le congé délivré le 23 septembre 2014 avait mis fin au bail seulement le 31 mars 2015. La Cour d’Appel en a alors tiré les conclusions suivantes : la clause de renonciation à l’indemnité d’éviction est passée du régime de la nullité avec prescription biennale au régime du réputé non écrit, non soumis à une quelconque prescription, avant l’expiration du bail commercial.
Or, les bailleurs, soutenaient quand à eux que cette loi ne pouvait avoir d’effet sur la prescription de l’action qui était définitivement acquise avant l’entrée en vigueur de la Loi du 18 juin 2014 et considéraient par conséquent que la cour d’appel avait violé les articles 2 et 2222 du code civil.
La Cour de Cassation va fermement rejeter cette argumentation.
Elle rappelle en effet que l’article 2 du code civil prévoit que la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées. Elle juge par conséquent que la loi du 18 juin 2014 qui a substitué à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours et l’action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n’est pas soumise à prescription.
Dès lors, même si la prescription de l’action en nullité avait été antérieurement acquise sous le régime antérieur à la loi PINEL du 18 juin 2014, la sanction du réputé non écrit reste cependant applicable aux baux en cours.
En l’espèce, le bail s’était tacitement prorogé et le congé avait été valablement délivré. La société locataire était donc légitime à se prévaloir de cette sanction du réputé non écrit à l’encontre des bailleurs. La Cour de cassation a donc confirmé l’arrêt de la Cour d’Appel sur ce point.
Avec cet arrêt, la Cour de Cassation étend par conséquent le champ d’application de la sanction du réputé non écrit.
La loi du 18 juin 2014, qui a substitué, à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours. Elle confirme également que l’action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n’est pas soumise à prescription. En conséquence, l’action tendant à voir réputée non écrite une clause ayant pour effet de faire échec au droit au renouvellement, introduite après l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 et relative à un bail en cours à cette date, est recevable quand bien même la prescription de l’action en nullité de cette même clause aurait été acquise au jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.