Prescription biennale : point de départ de l’action en requalification d’un contrat en bail commercial

La question du point de départ de la prescription biennale de l’action en requalification d’une convention quelconque en bail commercial soumis au statut des baux commerciaux a fait l’objet d’un revirement de jurisprudence inattendu et frappant par un arrêt du 26 mai 2023.

La publication de cet arrêt au Bulletin laisse présupposer de l’importance doctrinale de ce revirement.

Les faits soumis à la Cour de Cassation étaient classiques.

Entre 2009 et 2015, une société commerciale exploitant un commerce de piano-bar-restaurant avait conclu avec une commune sept contrats successifs ayant pour objet la location d’un immeuble servant de logement à son personnel.

Ces contrats étaient qualifiés de “convention d’occupation précaire”. Pour rappel, la convention d’occupation précaire d’un immeuble ou d’un local constitue un régime dérogatoire au statut des baux commerciaux (article L145-5-1 du code de commerce).

Une telle convention se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties.

Les règles applicables aux baux commerciaux y sont donc exclues. Cela veut dire, par conséquent, que le locataire des lieux ne bénéficie pas de règles protectrices applicables aux baux commerciaux notamment en terme de durée du bail (un minimum de neuf ans) ainsi que de droit au renouvellement.

A l’issue du bail précaire, le locataire a parfois intérêt à demander la requalification du contrat en bail commercial statutaire soumis aux règles protectrices du statut des baux commerciaux, le plus souvent lorsque cette convention précaire n’est pas renouvelée par le bailleur.

Ce fut le cas en l’espèce.

Le 5 octobre 2015, la commune a adressé au locataire un projet de « bail de location saisonnière » pour l’année 2016, stipulant une durée de sept mois à l’issue de laquelle le preneur devrait quitter les lieux (01/11/2015 au 31/05/2016).

Cette proposition a été refusée par le locataire qui s’est néanmoins maintenu dans les lieux et a demandé devant le Tribunal de Grande Instance d’Albertville la requalification de sa convention en bail commercial statutaire.

Le point de départ de l’action en requalification d’un bail précaire en bail commercial était jusqu’alors fixé à la date de conclusion du contrat initial.

Tant le Tribunal Judiciaire d’Albertville que la Cour d’Appel de CHAMBERY déclareront cette demande prescrite par application de la jurisprudence jusqu’alors en vigueur faisant démarrer le point de départ de l’action en requalification à la date de signature du contrat initial.

En effet selon l’article L145-60 « Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre (STATUT DES BAUX COMMERCIAUX) se prescrivent par deux ans ».

En application de cette prescription biennale, la Cour de Cassation avait ainsi décidé́ que «le point de départ du délai de la prescription biennale applicable à la demande tendant à la requalification d’une convention en bail commercial court à compter de la date de conclusion du contrat ( Cour de Cassation, Chambre Civile 3, 29 novembre 2018, n°17-24715) et qu’en application de ce principe «ayant, par des motifs non critiqués, relevé́ que Mme X… était en mesure de faire valoir son droit au statut des baux commerciaux à compter du 1er octobre 2004 et retenu que son action, qui devait être exercée avant le 1er octobre 2006 était prescrite, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision» ( Cour de Cassation, Chambre Civile 3, 22 mars 2018, n°17-13084).

En cas de conventions successives portant sur les mêmes lieux et entre les mêmes parties, le point de départ de la prescription se situait donc à la date de signature du contrat initial « peu important que celui-ci ait été renouvelé par avenants successifs » (Civil. 3e, 14 sept. 2017, n° 16-23.590).

Par application de ces principes, le Tribunal Judiciaire d’Albertville puis la Cour d’Appel de CHAMBERY prononceront l’irrecevabilité des demandes du locataire pour prescription de la demande de requalification et ce, sans examen au fond des motifs de la demande de requalification.

Ainsi, pour la Cour d’appel de CHAMBERY le point de départ du délai de prescription est la date de conclusion de la convention initiale (9 novembre 2009), y compris en cas de reconduction tacite ou de renouvellement par avenants successifs d’une convention initiale.

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