Expropriation et vente d’un fonds de commerce

L’expropriation consiste pour une autorité publique, à contraindre une personne privée de céder un bien immobilier ou des droits immobiliers pour cause d’utilité publique, en contrepartie d’une juste et préalable indemnité.

Lorsque l’expropriation concerne un immeuble où est exploité un fonds de commerce, le fonds de commerce exploité dans les lieux existe-t-il encore et par voie de conséquence peut-il être cédé après l’expropriation ?

En effet, l’expropriation implique le transfert de la propriété du bien exproprié auprès de l’autorité expropriante. Cela éteint en principe tous droits réels ou personnels existants sur le bien et notamment le droit au bail commercial. Cette expropriation restreint par conséquent les droits du locataire évincé et lui cause incontestablement un préjudice dont il doit être indemnisé.

Deux décisions rendues en 2011 et 2013 par la Cour de Cassation et la Cour Européenne des Droits de l’Homme fixent notamment la jurisprudence applicable en la matière.

L’expropriation doit donner lieu à une « juste indemnisation » du locataire privé de son droit au bail

Pour la Cour Européenne des Droit de l’Homme, l’indemnisation, qui vient réparer l’atteinte à la propriété du locataire, doit être à la mesure du préjudice et de l’atteinte à la propriété subie par le locataire évincé .

Dans une affaire qui lui était soumise, la Cour Européenne avait ainsi considéré que l’indemnisation proposée par l’Etat Italien à un locataire exploitant un local commercial était trop faible car l’atteinte au droit de propriété du locataire ne préservait pas suffisamment un juste équilibre entre l’intérêt général qui conditionne le droit à expropriation et l’intérêt particulier du locataire évincé.

Ce juste équilibre ne peut être trouvé que par une indemnisation à la hauteur de la valeur du bien ou du droit personnel dont le locataire a été privé.

Le droit français respecte ce “juste équilibre” dans la mesure où le locataire sera indemnisé de la perte de la valeur de son fonds de commerce. L’indemnité sera plus élevée si le propriétaire du fond exproprié est condamné à perdre sa clientèle : dans ce cas, elle doit être égale à la valeur du fonds. A l’inverse, si l’administration démontre que le propriétaire exproprié a la possibilité de se réinstaller sans perte significative de clientèle, l’indemnité d’expropriation s’analysera davantage en une indemnité de déplacement.

En vue de procéder à l’expropriation, le propriétaire est notifié par la collectivité publique, et doit faire connaître à l’expropriant l’identité de son locataire. A défaut d’accord sur le montant des indemnités, celles-ci sont fixées par le juge de l’expropriation.

Le juge va prononcer des indemnités différentes, pour le propriétaire de l’immeuble et le locataire dans le cadre du bail commercial.

L’expropriant peut en guise d’indemnisation proposer au locataire un local équivalent situé dans la même agglomération.

Dans ce cas, il peut être alloué au locataire, outre l’indemnité de déménagement, une indemnité compensatrice de sa privation de jouissance.

Trois grands types de préjudice doivent être évalués, en dehors des préjudices accessoires, lors d’une expropriation d’un fonds de commerce.

D’abord, quand il s’agit d’évaluer le fonds de commerce en lui-même (notamment si aucune réinstallation n’est possible sans forte déperdition de clientèle), les juges utilisent la méthode du chiffre d’affaires moyen réalisé sur les trois dernières années, auquel il est affecté un pourcentage différent en fonction de l’activité exercée. Ce pourcentage, basé sur l’étude de transactions similaires sur le même marché, doit être justifié par l’administration devant le juge.

Parfois, le préjudice subi n’est pas la perte de la valeur totale du fonds de commerce, notamment si l’exploitant peut se réinstaller sans perdre significativement de clientèle. Dans ce cas, l’indemnité ne peut en tout état de cause pas être inférieure à la valeur du droit au bail (3e Civ., 11 juin 1992 n° 90-17.109).

Le préjudice subi par la perte du droit au bail est généralement calculé par les juges en faisant la différence entre le loyer qu’il faudrait payer pour retrouver un local similaire pour l’exploitant, et le loyer actuellement payé par le locataire exproprié.

Enfin, il est nécessaire d’évaluer le préjudice lié au coût des installations, notamment lorsqu’il est nécessaire d’effectuer des travaux, constructions, agencements etc… dans le nouveau local. Sur ce point, les juges ont récemment revu leur méthode d’évaluation de l’indemnité principale. Aujourd’hui, les juges se basent sur la valeur neuve des installations présentes dans l’ancien local afin de calculer l’indemnisation due, ce montant étant corrigé d’un abattement allant jusqu’à 80% de la valeur afin de prendre en compte l’ancienneté. L’abattement est plus ou moins important selon les facilités de réinstallation du propriétaire du fonds. Auparavant, la tendance était de prendre la valeur amortie, mais aujourd’hui il semblerait que l’on tende à ignorer cet outil pour se concentrer sur la valeur d’usage (en ce sens, CA Versailles, 1er octobre 2017 n°15/08923). La solution est heureuse car la valeur nette comptable n’est que rarement représentative de la valeur réelle d’un bien

Le propriétaire du fond peut également être indemnisé d’un éventuel préjudice de jouissance supplémentaire (perte de droit au bail notamment), et également de préjudices accessoires (par exemple, les indemnités de licenciement dues directement à cause de l’expropriation, quand l’entreprise ne peut pas se réinstaller…).

Durant la procédure, le locataire doit continuer à verser, jusqu’à son départ effectif l’indemnité d’occupation du local. Il bénéficiera cependant d’une indemnité d’éviction.

En effet l’ordonnance d’expropriation entraîne la résiliation du bail commercial.

En contrepartie, la collectivité expropriante indemnise le locataire selon le préjudice subi.

L’indemnité d’éviction due au locataire évincé par l’expropriation ne disparaît pas par la vente du fonds

L’expropriation éteint immédiatement le droit au bail qui est un élément essentiel du fonds de commerce. Pour autant, les autres éléments du fonds existent toujours en dépit de l’expropriation.

La question s’est alors posée de savoir si le locataire évincé pouvait céder son fonds et par voie de conséquence la créance d’indemnité dont il bénéficiait en raison de son expropriation ?

La Cour de Cassation a nettement répondu par l’affirmative dans une affaire qui lui a été soumise en 2013.

Dans cette affaire, l’expropriation d’un immeuble comportant un fonds de commerce avait été prononcée au profit d’une commune en 2005. Le locataire évincé avait alors continué provisoirement à exploiter son fonds qu’il a ensuite cédé à une autre société. Cette dernière fait alors valoir son droit à l’indemnité d’éviction.

S’opposant à cette vente, la commune a saisi le juge de l’expropriation pour faire constater qu’en raison de cette cession, elle n’était plus redevable de la moindre indemnité d’éviction.

La Cour d’appel a accueilli cette demande en soutenant que l’ordonnance d’expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels et personnels existants sur l’immeuble exproprié. Ainsi, aucun droit sur le fonds n’avait pu être transféré après l’expropriation.

Dans son arrêt du 20 mars 2013, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en indiquant que si l’ordonnance d’expropriation éteint le droit au bail, elle « ne fait pas disparaître le fonds de commerce » et que par conséquent « la cession de ce fonds emporte, sauf clause contraire incluse dans l’acte, cession de la créance d’indemnité d’éviction due au cédant ».

Les enseignements suivants peuvent par conséquent être tirés de cet arrêt :

  • Un fonds de commerce peut être librement cédé en dépit d’une expropriation car celle-ci ne fait pas disparaître le fonds cédé mais uniquement le droit au bail ;
  • L’indemnité d’éviction est cédée avec le fonds vendu au profit du nouveau locataire.

Cette jurisprudence est intéressante car en laissant subsister le droit de vendre au profit du locataire évincé par l’expropriation, elle permet d’accroître son droit d’indemnisation. En excluant toute disparition du fonds de commerce, elle permet ainsi au locataire évincé de :

  • bénéficier directement ou par l’intermédiaire d’un acquéreur de l’indemnité d’éviction due au locataire évincé ;
  • tirer profit de la vente des autres éléments de son fonds de commerce ce qui n’aurait pas été le cas en cas d’impossibilité de vendre.

Cependant, encore faut-il trouver un acquéreur dans de telles conditions……

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Nadia TIGZIM
Avocat en droit des baux commerciaux