Expropriation et vente d’un fonds de commerce

Enfin, il est nécessaire d’évaluer le préjudice lié au coût des installations, notamment lorsqu’il est nécessaire d’effectuer des travaux, constructions, agencements etc… dans le nouveau local. Sur ce point, les juges ont récemment revu leur méthode d’évaluation de l’indemnité principale. Aujourd’hui, les juges se basent sur la valeur neuve des installations présentes dans l’ancien local afin de calculer l’indemnisation due, ce montant étant corrigé d’un abattement allant jusqu’à 80% de la valeur afin de prendre en compte l’ancienneté. L’abattement est plus ou moins important selon les facilités de réinstallation du propriétaire du fonds. Auparavant, la tendance était de prendre la valeur amortie, mais aujourd’hui il semblerait que l’on tende à ignorer cet outil pour se concentrer sur la valeur d’usage (en ce sens, CA Versailles, 1er octobre 2017 n°15/08923). La solution est heureuse car la valeur nette comptable n’est que rarement représentative de la valeur réelle d’un bien

Le propriétaire du fond peut également être indemnisé d’un éventuel préjudice de jouissance supplémentaire (perte de droit au bail notamment), et également de préjudices accessoires (par exemple, les indemnités de licenciement dues directement à cause de l’expropriation, quand l’entreprise ne peut pas se réinstaller…).

Durant la procédure, le locataire doit continuer à verser, jusqu’à son départ effectif l’indemnité d’occupation du local. Il bénéficiera cependant d’une indemnité d’éviction.

En effet l’ordonnance d’expropriation entraîne la résiliation du bail commercial.

En contrepartie, la collectivité expropriante indemnise le locataire selon le préjudice subi.

L’indemnité d’éviction due au locataire évincé par l’expropriation ne disparaît pas par la vente du fonds

L’expropriation éteint immédiatement le droit au bail qui est un élément essentiel du fonds de commerce. Pour autant, les autres éléments du fonds existent toujours en dépit de l’expropriation.

La question s’est alors posée de savoir si le locataire évincé pouvait céder son fonds et par voie de conséquence la créance d’indemnité dont il bénéficiait en raison de son expropriation ?

La Cour de Cassation a nettement répondu par l’affirmative dans une affaire qui lui a été soumise en 2013.

Dans cette affaire, l’expropriation d’un immeuble comportant un fonds de commerce avait été prononcée au profit d’une commune en 2005. Le locataire évincé avait alors continué provisoirement à exploiter son fonds qu’il a ensuite cédé à une autre société. Cette dernière fait alors valoir son droit à l’indemnité d’éviction.

S’opposant à cette vente, la commune a saisi le juge de l’expropriation pour faire constater qu’en raison de cette cession, elle n’était plus redevable de la moindre indemnité d’éviction.

La Cour d’appel a accueilli cette demande en soutenant que l’ordonnance d’expropriation éteint, par elle-même et à sa date, tous droits réels et personnels existants sur l’immeuble exproprié. Ainsi, aucun droit sur le fonds n’avait pu être transféré après l’expropriation.

Dans son arrêt du 20 mars 2013, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel en indiquant que si l’ordonnance d’expropriation éteint le droit au bail, elle « ne fait pas disparaître le fonds de commerce » et que par conséquent « la cession de ce fonds emporte, sauf clause contraire incluse dans l’acte, cession de la créance d’indemnité d’éviction due au cédant ».

Les enseignements suivants peuvent par conséquent être tirés de cet arrêt :

  • Un fonds de commerce peut être librement cédé en dépit d’une expropriation car celle-ci ne fait pas disparaître le fonds cédé mais uniquement le droit au bail ;
  • L’indemnité d’éviction est cédée avec le fonds vendu au profit du nouveau locataire.

Cette jurisprudence est intéressante car en laissant subsister le droit de vendre au profit du locataire évincé par l’expropriation, elle permet d’accroître son droit d’indemnisation. En excluant toute disparition du fonds de commerce, elle permet ainsi au locataire évincé de :

  • bénéficier directement ou par l’intermédiaire d’un acquéreur de l’indemnité d’éviction due au locataire évincé ;
  • tirer profit de la vente des autres éléments de son fonds de commerce ce qui n’aurait pas été le cas en cas d’impossibilité de vendre.

Cependant, encore faut-il trouver un acquéreur dans de telles conditions……

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Nadia TIGZIM
Avocat en droit des baux commerciaux