Garantie d’éviction et clause de non-concurrence : quelle protection pour l’acquéreur du fonds?

La garantie d’éviction et la clause dee non-concurrence sont indispensables aux fins de protéger efficacement l’acquéreur d’un fonds de commerce. Acheter un fonds de commerce, ce n’est en effet pas seulement reprendre des murs ou du matériel : c’est surtout investir dans une clientèle, une réputation et un savoir-faire qui constituent la véritable valeur de l’entreprise.

L’acquéreur attend de cette opération qu’elle lui permette d’exploiter sereinement son commerce et de rentabiliser son investissement.

Mais une question centrale se pose : comment s’assurer que cette valeur sera préservée et que l’ancien propriétaire ne viendra pas, directement ou indirectement, concurrencer son successeur et détourner sa clientèle ?

Ces deux outils juridiques répondent par conséquent à cet enjeu :

  • la garantie d’éviction, protège l’acquéreur contre tout trouble causé par les tiers et par le cédant dans la jouissance du fonds,
  • et la clause de non-concurrence, interdit au vendeur de se réinstaller dans des conditions susceptibles de capter la clientèle transmise.

Bien maîtrisées, ces garanties ne sont pas de simples notions théoriques : elles constituent des leviers stratégiques pour sécuriser le prix payé et assurer la pérennité de l’exploitation.

La garantie d’éviction protége l’intégrité du fonds vendu même sans mention dans l’acte de cession

Garantie inhérente à la cession

La garantie d’éviction découle de la loi : même si l’acte de cession n’en fait pas mention, le cédant doit garantir à l’acquéreur une jouissance paisible du fonds vendu1 et 2. L’acquéreur bénéficie ainsi d’une protection d’ordre public : aucune clause ne peut exonérer le vendeur de sa propre responsabilité 3.

Cette garantie a une durée illimitée et peut trouver à s’appliquer plusieurs années après la vente du fonds cédé.

En pratique, cela signifie qu’un cédant pourrait être tenu de garantir son cessionnaire de prétentions ou d’actions émanant de tiers ( bailleur notamment…) qui viendraient contester les droits du cessionnaire sur le fonds vendu.

Le non-respect de la garantie peut avoir des conséquences lourdes.

  • Responsabilité étendue. La jurisprudence a admis que non seulement la société venderesse, mais aussi son dirigeant ou des sociétés interposées puissent être condamnés si elles participent à la violation 6.
  • Locaux commerciaux. Lorsque la cession inclut un bail, la garantie couvre aussi la jouissance des lieux. En cas de perte, le cédant peut être tenu d’indemniser l’acquéreur, sauf clause expresse d’exclusion 7.

Exemple concret. Imaginons un fleuriste qui cède son fonds avec le bail des locaux. Si, peu après, le bail est résilié en raison d’une action engagée par le bailleur contre le cédant, ce dernier peut être tenu responsable de la perte du fonds par l’acquéreur.

Points pratiques – à retenir :

      • Engagez aussi la responsabilité des personnes interposées utilisées pour contourner les obligations.
      • Vérifiez attentivement les clauses relatives aux locaux.
      • Préparez vos preuves dès l’apparition d’un trouble (constat d’huissier, photos, attestations).

Mais surtout cette garantie légale pourrait également trouver à s’appliquer en cas de réinstallation du cédant.

Garantie d’éviction et réinstallation du vendeur

Principe. En pratique, cela signifie également qu’un cédant ne peut pas rouvrir un commerce identique à celui qu’il vient de céder, ni entreprendre des démarches même légales qui troubleraient directement l’exploitation de celui-ci lui permettant de capter à son profit la clientèle du fonds cédé. Par exemple, un ancien boulanger ne peut pas réinstaller une boulangerie dans la même rue et démarcher activement les anciens clients pour les inciter à le suivre.

Limites. En l’absence de clause spécifique de non-concurrence, la simple réinstallation du vendeur n’est pas interdite. Ce qui est sanctionné, ce sont les manœuvres destinées à détourner la clientèle5 ou la reprise, même par des moyens légaux de la clientèle qui vient d’être cédée.

Points pratiques – à retenir :

      • Mentionnez explicitement la garantie dans l’acte : même si elle s’applique de plein droit, cela facilite les recours.
      • Mentionnez explicitement les activités concernées
      • Complétez-la par une clause de non-concurrence pour éviter toute ambiguïté.

La jurisprudence joue un rôle essentiel pour tracer la frontière entre réinstallation légitime et éviction fautive.

Exemples d’éviction fautive. Les tribunaux sanctionnent les comportements qui compromettent réellement la jouissance paisible du fonds. Cela inclut :

      • le dénigrement de l’acquéreur auprès de la clientèle,
      • l’exploitation d’une notoriété ancienne pour créer une confusion,
      • ou encore le démarchage actif des clients transférés.

Ainsi, a été jugé fautif un vendeur qui, après la cession, avait tenu des propos malveillants à l’égard de l’acquéreur dans le seul but de nuire à sa réputation.

Exemples de réinstallation admise. À l’inverse, la réinstallation du cédant est tolérée si elle ne vise pas directement la clientèle cédée. Par exemple, un ancien restaurateur qui ouvre un établissement dans une commune voisine, sans manœuvres de captation, ne viole pas la garantie.

Particularité des réseaux et franchises. Dans le cadre de grands réseaux, la relation client est souvent liée à la marque ou aux conditions commerciales, et non à la personne du commerçant. Dans ces cas, la réinstallation du cédant dans une entité du groupe n’est pas systématiquement sanctionnée.

Points pratiques – à retenir

      • Collectez des preuves précises (emails, témoignages clients, captures de sites).
      • Analysez votre secteur : plus le lien client est personnel (coiffure, restauration de quartier), plus les juges seront stricts.
      • Protégez vos signes distinctifs (nom, enseigne, réseaux sociaux) pour limiter les confusions.

L’obligation de non-concurrence dans la cession du fonds de commerce

Indépendamment de la garantie légale, la clause de non-concurrence (ou de non-rétablissement) est l’outil contractuel indispensable pour empêcher la captation de la clientèle transmise par l’ancien dirigeant ou ses salariés8. Dans certains cas, notamment en cas de cession partielle, elle peut même être réciproque : chaque partie s’engage à ne pas concurrencer l’autre dans son domaine réservé.

L’efficacité de la clause dépend de sa rédaction : trop large, elle risque d’être annulée ; trop floue, elle devient inopposable.

Comment rédiger une clause de non-concurrence valable et efficace?

Précision de l’objet. La clause doit clairement indiquer l’activité interdite. Par exemple, interdire au cédant de se réinstaller dans un « commerce similaire » 9 et 10. Les juges apprécient souverainement cette similitude 11.

Proportion. La clause doit être proportionnée. Elle ne peut pas interdire toute activité professionnelle au cédant. Par exemple, un vendeur de salon de coiffure ne peut pas être empêché d’ouvrir une boutique de prêt-à-porter : ce n’est pas une activité concurrente.

Exemple concret. Si un ancien propriétaire d’un bar s’engage à ne pas exercer « une activité similaire », mais ouvre un restaurant avec licence de débit de boissons où l’activité principale est la restauration, les juges peuvent considérer qu’il n’y a pas violation.

Points pratiques – à retenir

      • Définissez précisément les activités interdites.
      • Ajoutez une clause anti-contournement (participation minoritaire, conseil, franchise).
      • Ajustez durée et périmètre à la réalité économique du secteur.

À qui s’applique la clause de non-concurrence et dans quel périmetre?

Territoire. La clause doit préciser la zone : une commune, une région, voire un pays entier. Les juges admettent la réinstallation dans une commune voisine si la clause ne vise que la ville d’origine 12. Mais un vendeur établi hors zone peut toujours répondre aux sollicitations de clients situés dans la zone 13.

Bénéficiaires. La clause profite à l’acquéreur. Les sous-acquéreurs ne peuvent s’en prévaloir que si l’acte de revente la stipule 14. Si par principe la transmission automatique est écartée une décision isolée l’a admis.

Débiteurs. Sauf stipulation contraire, la clause s’impose aux héritiers collaborateurs du cédant 15, à l’inverse en cas de procédure collective, elle ne se transmet pas au repreneur du reste du fonds 16.

Points pratiques – à retenir

      • Définissez une zone en cohérence avec la clientèle (zone de chalandise réelle).
      • Stipulez la transmission de la clause en cas de revente.
      • Couvrez les cas limites (franchise, e-commerce, conseil).

Quelles sanctions s’appliquent en cas de violation de l’obligation de non-concurrence?

La violation engage la responsabilité contractuelle du cédant : le seul manquement suffit, même sans confusion dans l’esprit des clients 17.

Types de préjudice.

      • Économique : baisse du chiffre d’affaires, perte de clientèle.
      • Moral : atteinte aux droits contractuels, même sans perte chiffrée.

Réparation. Elle peut prendre la forme de dommages-intérêts ou de l’application d’une clause pénale 18. Le juge peut alors en réviser le montant s’il est excessif ou dérisoire.

Exemple concret. Un ancien coiffeur ouvre un salon concurrent en violation de sa clause. L’acquéreur n’a pas à démontrer une perte immédiate de chiffre d’affaires : le seul manquement contractuel suffit à engager la responsabilité.

En outre, le juge peut prononcer une injonction de cessation, assortie d’une astreinte. Dans une affaire célèbre, un vendeur recruté comme directeur technique par une société concurrente a ainsi été contraint de cesser ses fonctions, et l’entreprise a dû rompre son contrat de travail .

Points pratiques – à retenir

      • Mentionner une clause pénale réaliste pour éviter les discussions interminables.
      • Rassemblez des preuves d’activité effective 19 et 20 (factures, publicités, posts sur réseaux sociaux).
      • Utilisez la procédure de référé pour obtenir rapidement une cessation de l’activité concurrente et protéger votre exploitation.

Conclusion

Comment sécuriser une cession ou une acquisition grâce à la garantie d’éviction et à la clause de non-concurrence ?

La garantie d’éviction et la clause de non-concurrence sont les deux piliers qui transforment une cession en un investissement sûr et durable. Bien rédigées, elles protègent la clientèle, la notoriété et l’emplacement acquis.

Une clause efficace doit être précise, proportionnée et prouvable. Elle sécurise le prix payé et protège vos flux financiers futurs.

Vous préparez une cession ou une acquisition ? Le cabinet TIGZIM vous accompagne pour négocier, rédiger et défendre des clauses solides, adaptées à votre activité.

 

Références :