Exception d’inexécution et bail commercial

L’exception d’inexécution est définie à l’article 1219 du Code civil comme le droit dont dispose une partie contractante de ne pas exécuter l’obligation à laquelle elle s’est engagée tant que son cocontractant n’exécute pas la sienne.

Cette exception d’inexécution a toujours fait l’objet d’un contrôle de proportionnalité très strict portant sur la gravité des manquements allégués pour justifier le recours à une telle mesure.

Fréquemment invoquée par les plaideurs dans les litiges portant sur l’acquisition de la clause résolutoire, cette question a donné lieu ces dernières années à plusieurs arrêts de la Cour de cassation visant à atténuer la sévérité des conditions d’application de cette exception.

Exception d’inexécution et référés

Selon l’article 834 du Code de Procédure Civile « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend ».

En invoquant l’exception d’inexécution, le locataire peut être en mesure de paralyser (au moins pour un temps) les effets de clause résolutoire invoquée par le bailleur aux fins de résilier le bail.

En effet, une telle exception constitue une contestation sérieuse portant sur l’exigibilité de la créance invoquée par le bailleur qu’il n’appartient pas au juge des référés de trancher (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 23 mars 2010, 08-21.358).

Le débat sur l’exception d’inexécution nécessite au minimum un débat DE FOND dont le locataire peut se prévaloir en référé afin de paralyser les effets de la clause résolutoire contenue au bail qui lui est opposé.

De l’impossibilité totale d’exploiter à la plus simple impropriété des locaux à la destination du bail

Pendant longtemps, la jurisprudence de la Cour de cassation a été d’une extrême sévérité sur le recours à l’exception d’inexécution en matière de baux commerciaux.

En effet, afin de retenir une telle exception, elle exigeait que soit démontrée une impossibilité totale d’exploiter les locaux loués, qui concernait le plus souvent les hypothèses de destruction des lieux loués ou de vice majeur et rédhibitoire (par exemple l’amiante) interdisant l’accès aux lieux loués (voir notamment Cass. , 3e Civ. , 21 novembre 1995, 94-11.806).

La jurisprudence de la Cour de cassation a néanmoins progressivement évolué dans le sens d’une meilleure protection du preneur par une série d’arrêts rendus entre 2020 et 2025.

Le premier infléchissement est venu de l’arrêt rendu le 27 février 2020, la Cour de cassation justifiant dorénavant l’exception d’inexécution par le fait que les locaux étaient devenus « impropres à l’usage » pour lesquels ils avaient été loués sans faire aucunement référence à une quelconque impossibilité d’exploiter (Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 27 février 2020, 18-20.865).

L’évolution de cette jurisprudence a ensuite été confirmée par un arrêt du 6 juillet 2023 publié au Bulletin, témoignant de l’importance donnée par la Cour à l’évolution qu’elle entendait donner au recours à l’exception d’inexécution en matière de baux commerciaux.

Dans cette dernière affaire, il résultait des faits que les locaux n’avaient pas été considérés comme inexploitables ce qui n’avait pourtant pas empêché la Cour d’Appel de DOUAI de retenir l’exception d’inexécution opposée par le preneur en considérant « qu’il importe peu que l’exploitation ne soit pas totalement impossible les manquements du bailleur étant d’une gravité suffisante”.

Cet arrêt a cependant été cassé par la Cour de cassation dans la mesure où pour justifier l’exception d’inexécution la Cour d’Appel s’était référée à la gravité des manquements du bailleur « sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les infiltrations alléguées avaient rendu les locaux loués impropres à l’usage auquel ils étaient destinés ».

Prolongement de l’obligation de délivrance

Deux enseignements peuvent donc être tirés de cet arrêt :

  • il est d’une part confirmé qu’il n’est plus exigé une impossibilité d’exploiter aux fins de se prévaloir de l’exception d’inexécution,
  • en revanche, l’exception d’inexécution pourra être justifiée dès lors que le preneur pourra établir que ceux-ci sont impropres à l’usage auxquels ils étaient destinés.

Cette conception de l’exception d’inexécution en matière de baux apparait ainsi parfaitement justifiée au regard de l’obligation cardinale de délivrance, inscrite à l’article 1719 du Code civil, à laquelle le bailleur se trouve soumis.