Débauchage de personnel et concurrence déloyale

Le débauchage de personnel par une entreprise concurrente peut être parfois considéré comme fautif et cela malgré les affirmations de Montesquieu (De l’esprit des Lois – 1748) selon lesquelles « C’est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises et qui établit les vrais rapports entre elles ».

En effet, la concurrence doit être préservée voire même encouragée :  elle permet, sur un marché donné, d’aboutir à une autorégulation de l’offre et de la demande et ce dans l’intérêt des consommateurs.

Tout n’est cependant pas permis : pour permettre la préservation d’une concurrence saine et distincte des actes déloyaux, la jurisprudence est intervenue, notamment pour établir au fur et à mesure une liste exhaustive de cas de concurrence déloyale. Au-delà de ces cas, le juge ne doit pas considérer qu’un acte est fautif car il convient de trouver un juste équilibre entre le principe de la liberté du commerce et de l’industrie d’un côté et l’établissement de règles entre les concurrents de l’autre.

En effet, le droit de la concurrence est particulier notamment parce qu’il repose sur un antagonisme initial : la concurrence repose sur un droit de nuire à l’autre et suppose en ce sens des actions nocives pour le concurrent. Le but même de la concurrence est de s’approprier la clientèle d’autrui. Tous les actes concurrentiels ne peuvent donc être considérés comme fautifs du simple fait qu’ils causent un dommage à autrui. 

D’où l’importance de cette matière dans une économie moderne. Le droit de la concurrence déloyale a émergé au 19ème siècle, ce qui en fait la matière la plus ancienne du droit de la concurrence. Cette matière est ancrée dans le droit commun de la responsabilité civile et trouve donc son fondement dans le Code civil à l’article 1240 qui dispose que celui qui cause un préjudice à autrui est tenu de le réparer.

La question est donc de savoir dans quelle mesure le débauchage du personnel d’un concurrent est autorisé, sans qu’il soit considéré comme une désorganisation fautive de l’entreprise du concurrent.

Le débauchage de personnel figure parmi les hypothèses de désorganisation de l’entreprise d’autrui (I), mais plusieurs conditions doivent être remplies pour que l’action puisse être mise en œuvre (II).

Concurrence déloyale par débauchage de personnel entrainant une désorganisation de l’entreprise

Il existe trois sortes de comportements de concurrence déloyale sanctionnés par le juge : la désorganisation de l’entreprise d’autrui, le dénigrement et la création d’un risque de confusion ou le parasitisme.

S’agissant plus précisément de la désorganisation de l’entreprise d’autrui, elle vise essentiellement deux fautes : le non-respect d’un réseau de distribution mis en place par un concurrent et le détournement de clientèle.

Le débauchage de personnel figure parmi les cas de détournement de clientèle.

Il convient de distinguer deux cas de débauchage de personnel, selon que les salariés débauchés étaient soumis à une clause de non-concurrence ou pas.

Salariés soumis à une clause de non concurrence

Une clause de non-concurrence consiste en l’engagement par un salarié à ne pas travailler pour un employeur concurrent pendant une durée déterminée et sur un territoire déterminé. Il s’agit d’une clause post-contractuelle qui se poursuit à l’issue du contrat de travail.

S’agissant du débauchage de personnel soumis à une telle clause, le nouvel employeur peut être tenu coupable pour concurrence déloyale sous réserve que celui qui intente l’action apporte la preuve de sa connaissance de l’engagement contractuel. En effet, le nouvel employeur n’est pas partie au contrat de travail entre l’ancien employeur et le salarié. Au titre de l’effet relatif des contrats, on pourrait donc penser qu’il ne peut être tenu responsable. Mais le principe d’opposabilité du contrat permet de l’assigner en justice pour complicité s’il avait connaissance de la clause de non-concurrence.

Tenant au fait qu’il est difficile de rapporter une telle preuve, les juges ont imposé aux employeurs de se renseigner sur le salarié qu’ils embauchent, notamment au moyen d’une demande du précédent contrat de travail du salarié.

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