Rupture brutale d’une relation commerciale établie

La sanction de la rupture brutale d’une relation commerciale établie est régie par l’article L442-1, II du Code de commerce, qui a remplacé l’article L442-6, I, 5° du Code de commerce modifié par la loi PACTE (loi pour la croissance et la transformation des entreprises) du 22 mai 2019.

L’article 1210 du Code civil modifié par l’ordonnance du 10 février 2016 dispose en effet que “les engagements perpétuels sont prohibés”.

En effet, les cocontractants doivent pouvoir mettre fin au contrat. Il existe différents moyens légalement utilisables pour y parvenir. Tel est notamment le cas de la rupture unilatérale du contrat. Cependant, cette rupture unilatérale est soumise à certaines conditions. Lorsqu’il s’agit des relations contractuelles B2B, le Code de commerce instaure une règle spécifique sanctionnant le caractère brutal et dépourvu de préavis suffisant d’une telle rupture unilatérale.

Secteurs d’activité de l’auteur de la rupture brutale d’une relation commerciale établie

Selon l’article L442-1, II du Code de commerce,  la rupture brutale d’une relation commerciale établie doit venir d’une personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services. Certaines prestations intellectuelles ne peuvent être regardées comme entrant dans le cadre d’une relation commerciale établie : relation entre un médecin et sa clinique (Cour de cassation, Chambre commerciale, 23 octobre 2007, n°06-16.774). Cependant, la relation entre un architecte indépendant et une agence entre dans le champ d’application de l’article L442-1, II du Code de commerce (Cour de cassation, Chambre commerciale, 16 décembre 2008, n°07-18.050).

Appréciation du caractère établi des relations commerciales litigieuses

L’une des conditions d’application de l’article L442-1, II du Code de commerce est l’existence d’une relation commerciale établie. Il ne suffit pas de démontrer qu’il y a une relation commerciale. Mais il faut aussi démontrer le caractère établi de celle-ci. Avec quels critères ? Si la relation contractuelle existe depuis un mois, deux mois ou trois mois, peut-on véritablement parler de “relation commerciale établie” ? Quelle serait l’intensité suffisante permettant de caractériser une relation commerciale établie ? La loi reste muette sur ce point. Aucun critère n’a été précisé par le législateur. Il convient alors de chercher des apports jurisprudentiels. Par ailleurs, l’appréciation du caractère établi des relations commerciales relève du pouvoir souverain des juges du fond.

L’étude de certaines décisions de justice montre que les juges prennent en compte la stabilité et la régularité des relations.  L’appréciation des relations commerciales établies ne serait pas subordonnée à l’existence d’un échange permanent et continu entre les parties. Il a été admis dans une affaire qu’une succession de contrats à durée déterminée conclus depuis plus de dix ans est suffisante à caractériser une relation commerciale établie (Cour de cassation, Chambre commerciale, 15 septembre 2009, n° de pourvoi 08-19.200, Publié au bulletin). Cependant, dans une autre affaire, une Cour d’appel a souverainement retenu que les relations commerciales entre les parties n’avaient duré que quelques mois, caractérisant ainsi l’absence de relations commerciales établies, susceptibles d’entrer dans les prévisions de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce (Cour de cassation, Chambre commerciale, 18 décembre 2007, n°06-10.390)

Appréciation de la brutalité de la rupture des relations commerciales litigieuses : la durée du préavis

En application de l’article L442-1, II du Code de commerce, la rupture fautive d’une relation commerciale est caractérisée par la brutalité. Une rupture est brutale lorsque son auteur n’a pas respecté un délai de préavis suffisant. Il convient de préciser que le préavis de rupture doit être établi par écrit. En pratique, l’appréciation du caractère suffisant du préavis peut soulever certaines difficultés dans la mesure où il n’existe aucun calcul précis  du type : “x” année(s) de relations antérieures implique(nt) “y” mois de préavis. En effet, le caractère suffisant du préavis s’apprécie par rapport  notamment, à la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. Les juges du fond ont également pris en compte le temps nécessaire au partenaire évincé pour réorienter son activité et trouver éventuellement de nouveaux partenaires (Cour d’appel de Paris, 20 décembre 2017, n°15/20154).

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Certains accords interprofessionnels fixent le délai de préavis à respecter en cas de rupture des relations commerciales établies. Il s’agit notamment de :

  • accord des usages professionnels de la fédération de l’imprimerie et de la communication graphique de 1998 ;
  • accord relatif à l’exploitation en location-gérance des fonds de commerce de station-service des sociétés pétrolières de 1994 ;
  • accord conclu dans le secteur du bricolage entre l’union des industries du bricolage et la fédération française des magasins de bricolages de 2002 ;
  • accord conclu entre le fédération des entreprises et entrepreneurs de France et la fédération des entreprises du commerce et de la distribution de 2013

Le préavis de la rupture des relations commerciales établies commence à courir à partir du jour où le contractant informe son partenaire de sa volonté de ne pas poursuivre les relations contractuelles (Cour de cassation, chambre commerciale, 6 juin 2001, n°99-20.831).

La rupture unilatérale d’une relation commerciale établie sans préavis n’engage pas la responsabilité de son auteur en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. La Cour de cassation précise en revanche que pour que la rupture sans préavis soit justifiée, l’inexécution des obligations par l’autre partie doit être grave (en ce sens, voir l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 18 janvier 2011, n°10-11.611).

Réparation du préjudice issu de la rupture brutale d’une relation commerciale établie

Selon l’article L442-1, II du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé, le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit suffisant. La Cour de cassation précise qu’en cas d’insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire (Cour de cassation, 9 juillet 2013, n°12-20.468, Publié au bulletin), sans qu’il y a lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture (Cour de cassation, 4 octobre 2016, n° 15-14.025). Par ailleurs, la réparation est limitée au préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture, de sorte que le préjudice découlant de la rupture elle-même n’est pas réparable (en ce sens, voir arrêt du 15 mars 2001 de la Cour d’appel de Douai ; arrêt du 10 février 2015 de la Cour de cassation, n°13-26.414).

Prescription de l’action en responsabilité

L’action de la victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies est soumise à la prescription de droit commun (5 ans) qui court à compter du jour de la rupture effective de la relation et non à compter du jour de la notification de la rupture (voir l’arrêt du 28 octobre 2010 de la Cour d’appel de Lyon, n°09/02604).