Rupture brutale des relations commerciales établies et préavis

Rompre des relations commerciales, même établies de longue date, n’est évidemment pas en soit interdit. En revanche, une rupture brutale des relations commerciales établies, effectuée sans préavis ou avec un préavis insuffisant est sanctionnée depuis 1996 par le biais de l’article L 442-6 I du Code de Commerce. Il est en effet nécessaire de protéger des relations commerciales qui ont perduré dans le temps, qui ont souvent conduit à des investissements lourds et dont la rupture entraîne de graves conséquences pour la partie lésée.

Une rupture brutale des relations commerciales établies est considérée comme fautive lorsqu’elle est notamment imprévisible, soudaine, violente et effectuée soit sans préavis soit par le biais d’un préavis insuffisant. Pour être valable au regard des critères de la jurisprudence actuelle, ce préavis doit en outre tenir compte de la durée des relations commerciales antérieures.

Ce préavis est en général évalué par la jurisprudence à la durée d’un mois par année de relation contractuelle antérieure : ceci étant dit, il est parfois difficile de déterminer la durée antérieure à prendre en compte afin de satisfaire aux exigences de l’article L 442-6 I et respecter un préavis suffisant. Cette détermination peut s’avérer incertaine ainsi que le montre les deux arrêts rendus par la Chambre Commerciale en 2013 et 2015.

Rupture brutale des relations commerciales établies malgré l’absence de tout préjudice

Pour la Cour de Cassation, le seul critère à prendre en compte pour évaluer le caractère suffisant du préavis est la durée des relations antérieures existant au moment de la notification de la rupture. En cas de préavis insuffisant, une indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies pourra être accordée même en l’absence de préjudice de la partie évincée.

C’est ce qu’il ressort d’un important arrêt de la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation publié au Bulletin en date du 9 juillet 2013.

Dans cette affaire, il était établi qu’un concessionnaire évincé d’un marché de concession exclusive qui durait depuis 50 ans avait immédiatement repris un fonds de commerce en location-gérance après la fin du préavis contractuel d’une année qui lui avait été notifié. Il était également établi qu’il n’avait subi aucune perte de chiffre d’affaires ou de bénéfice de sorte que la rupture des relations n’avait eu pour lui aucune conséquence financière désastreuse.

Or, il se plaignait pourtant de ne pas avoir bénéficié d’un préavis suffisant au regard de la durée des relations antérieures et qu’en conséquence il était victime d’une rupture brutale des relations commerciales établies. Il aurait en effet pu prétendre à environ 50 mois de préavis par application de la jurisprudence issue de l’article L 442-6 I du Code de Commerce. Considérant toutefois qu’il n’avait subi aucun préjudice en raison de sa reconversion réussie, la Cour d’Appel l’avait débouté de toutes ses demandes.

La Cour de Cassation a formellement contredit cette analyse en considérant que « le délai du préavis suffisant s’apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture ; qu’en cas d’insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire »

Le plaignant évincé est par conséquent indemnisé dès lors que la durée des relations antérieures justifiait un préavis plus long et cela, en dépit de son absence de préjudice, de sorte que plusieurs commentateurs de cette décision ont observé qu’elle créait une quasi automaticité de l’indemnisation de la partie évincée indifférente à la notion de préjudice réel. S’agissant de surcroît d’une responsabilité délictuelle, il est également apparu contradictoire qu’une indemnisation puisse être octroyée en l’absence de tout préjudice.

Rupture brutale des relations commerciales établies et cession de fonds de commerce

Le seul critère à prendre en compte étant la durée des relations antérieures établies, s’est également posée la question de la détermination du point de départ de ces relations. En effet, l’appréciation de la durée des relations antérieures à prendre en compte et du caractère suffisant du préavis donné peut s’avérer épineuse en cas de transmission d’entreprise notamment par voie de cession de fonds de commerce ainsi que le rappelle un arrêt de la Cour de cassation en date du 15 septembre 2015.

En effet, dans cette affaire, le cessionnaire d’un fonds de commerce avait immédiatement été évincé d’un contrat transmis avec le fonds cédé et prétendait alors que la durée du préavis devait prendre en compte les relations commerciales établies durant de nombreuses années avec la société cédante.

Or, la Cour de cassation ayant constaté que la cession de fonds de commerce permettait de transférer la propriété des éléments du fonds cédé et non de substituer « de plein droit le cessionnaire et le cédant dans les relations contractuelles et commerciales« , la durée du préavis suffisant ne pouvait être calculée qu’en tenant compte de la durée des relations antérieures entretenues avec le cessionnaire et non avec le cédant.

En réalité et conformément à sa jurisprudence antérieure, la Cour de Cassation considère qu’en cas de transmission d’un contrat ultérieurement rompu, le point de départ des relations antérieures à prendre en compte dans le calcul du préavis ne peut être remonté au contrat initial pré-transmission que dans l’hypothèse où le cessionnaire a été assuré ou maintenu dans la croyance de la pérennité et de la poursuite des relations nouées avec le cédant. Faute d’avoir fait cette démonstration, la Cour de Cassation n’a pu que constater que la cession d’un fonds de commerce n’emportait pas de plein droit transmission des contrats et débouter le cessionnaire de sa demande d’indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Dans cette affaire, le préjudice était réel mais n’a pas suffi à établir la rupture brutale des relations commerciales établies. Or la valeur de cession d’un fonds de commerce tient souvent compte des contrats transmis. Cette transmission des contrats doit être en conséquence soigneusement examinée notamment en cas de cession de fonds de commerce afin d’anticiper et se prémunir d’une éviction brutale qui ne pourra même pas être indemnisée à hauteur du préjudice subi.

Nadia TIGZIM
Avocat en droit des affaires