Le bail professionnel est régi par un texte bref, l’article 57 A de la loi n° 86‑1290 du 23 décembre 19861. Sa simplicité apparente masque des enjeux considérables. Pour un preneur, le bon diagnostic et la distinction entre bail commercial et bail professionnel conditionne la durée d’engagement, la souplesse de sortie et, in fine, le coût total d’occupation.
Dans de nombreux dossiers, des locaux, notamment de bureaux « sans accueil de clientèle » ont été placés par facilité ou à dessein sous l’étiquette parfois inadéquate de « bail commercial » alors qu’ils n’en remplissaient pas les critères.
Cette étiquette n’a pourtant de valeur que si les conditions légales du statut des baux commercial sont réunies. À défaut, le bail a vocation à être requalifié en bail professionnel. Tout se joue alors autour d’un critère décisif : l’existence, ou l’absence, d’une renonciation expresse, non équivoque et donnée en connaissance de cause par le preneur au bénéfice du bail professionnel aux fins de conclure un bail commercial.
Sans une telle renonciation, la requalification demeure ouverte et devient un levier pour reprendre la main sur le calendrier et sur les coûts.
A retenir :
Tant que le preneur à bail commercial n’a pas renoncé de manière expresse et éclairée au bail professionnel alors qu’il en remplit les critères, la porte de la requalification lui reste ouverte, et avec elle, la possibilité d’un congé à tout moment moyennant préavis de six mois.
I‑DISTINCTION FONDAMENTALE ENTRE LE BAIL PROFESSIONNEL ET COMMERCIAL
QUELLES SONT LES CARACTÉRISTIQUES SPÉCIFIQUES DES BAUX PROFESSIONNELS ET DES BAUX COMMERCIAUX ?
Le bail professionnel, issu de l’article 57 A, s’adresse aux activités professionnelles non commerciales. Il requiert un contrat écrit, une durée minimale de six ans et une affectation exclusivement professionnelle.
Son attrait majeur réside dans la liberté de résiliation : le preneur peut donner congé à tout moment, sous réserve d’un préavis de six mois, notifié par lettre recommandée ou par acte extrajudiciaire.
Cette liberté s’accompagne d’un revers assumé : il n’existe ni droit au renouvellement, ni indemnité d’éviction. Le bail professionnel est un outil de flexibilité. Il convient particulièrement aux structures dont l’activité évolue rapidement, aux entreprises de services ou encore aux équipes en phase de croissance qui souhaitent éviter un enfermement contractuel.
Le bail commercial, régi par les articles L. 145‑1 et suivants du Code de commerce, répond à une logique différente. Il suppose l’exploitation d’un fonds de commerce, industriel ou artisanal, ainsi que l’immatriculation du preneur au registre compétent. Sa durée minimale est de neuf ans2, avec une faculté de résiliation triennale ouverte au preneur. En contrepartie, il offre une protection forte : droit au renouvellement3 du bail et indemnité d’éviction en cas de refus de renouvellement par le bailleur.
L’un sécurise la stabilité d’une exploitation de fonds ; l’autre organise la souplesse d’une occupation professionnelle. Cette divergence de philosophie explique l’intensité des débats de qualification lorsque l’apparence contractuelle ne reflète pas la réalité économique.
Points pratiques :
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- Bail professionnel : souplesse maximale (congé 6 mois), mais pas de renouvellement ni d’éviction.
- Bail commercial : stabilité du fonds (renouvellement/éviction), mais rigidité temporelle (9 ans – 3/6/9).
- Le régime applicable découle des conditions légales, non de l’intitulé choisi par les parties.
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QUELLES DIFFICULTÉS DE QUALIFICATION POSENT LES BAUX PROFESSIONNELS ?
Le texte de 1986 étant laconique, la jurisprudence a structuré deux axes d’analyse. D’abord, le caractère professionnel de l’activité, entendu largement comme l’exercice d’une activité à titre habituel, y compris par des structures sans but lucratif4 ou mutualistes5. Ensuite, l’exclusivité d’affectation : les locaux doivent être destinés à une activité professionnelle qui n’implique pas l’accueil d’une clientèle attachée à un fonds de commerce.
Dans les dossiers de bureaux « sans réception du public », la difficulté est récurrente. Beaucoup de contrats demeurent intitulés « baux commerciaux » par habitude ou par des bailleurs souhaitant bénéficier des avantages des baux commerciaux au-delà de leur cadre. Ils comportent des renvois au Code de commerce, des clauses inspirées des baux commerciaux et des références aux échéances triennales. Pourtant, ces éléments ne peuvent suppléer des conditions légales non réunies.
La qualification est une appréciation in concreto, factuelle. Elle tient compte : de la nature de l’activité, des modalités d’occupation, de l’existence d’une clientèle attachée au lieu, de l’immatriculation effective à la date de conclusion. Surtout, lorsqu’il est soutenu que les parties ont « choisi » le statut commercial, le juge vérifie l’existence d’une renonciation expresse au bénéfice du bail professionnel. À défaut, le contrat reste gouverné par le régime qui lui est naturellement applicable.
À retenir :
L’intitulé « bail commercial » et quelques renvois au Code de commerce ne suffisent jamais. Le juge regarde la réalité : activité, usage des lieux, présence ou pas d’un fonds et, le cas échéant, renonciation expresse au bail professionnel lorsque le preneur aurait pu en bénéficier.
II‑LA REQUALIFICATION DU BAIL : CONDITIONS ET ENJEUX
QUELLES SONT LES CONDITIONS DE LA REQUALIFICATION DU BAIL COMMERCIAL EN BAIL PROFESSIONNEL ?
Lorsque l’intitulé et les clauses ne correspondent pas au régime effectivement applicable, le juge restitue à l’acte sa véritable qualification. L’office du juge ne consiste pas à dénaturer le contrat, mais à faire prévaloir la réalité juridique et économique sur l’apparence.
Au centre de la requalification se trouve la renonciation du preneur au bail professionnel. Si le bail a, par nature, vocation à relever de l’article 57 A, il ne basculera vers le statut commercial que si le preneur y a renoncé de manière expresse, par une clause claire, non équivoque et comprise. Concrètement, la clause doit dire ce qu’elle fait : le preneur renonce à la liberté de congé à tout moment (préavis 6 mois) et accepte la rigidité du 3/6/9, avec les autres mécanismes du statut commercial. À défaut, la « soumission conventionnelle » au statut commercial ne prospère pas.
À titre d’illustration, la Cour d’appel de Versailles (14 novembre 2024, n° 23/02731) a requalifié en bail professionnel un bail commercial portant sur des locaux de bureaux sans accueil du public, en l’absence de renonciation expresse et informée du preneur au bénéfice de l’article 57 A ; elle a ainsi validé le congé avec préavis de six mois et borné les loyers à cette seule période. Cette décision souligne encore l’importance des enjeux soulevés en la matière.
Pour des bureaux sans accueil du public, sans exploitation de fonds et sans immatriculation à la conclusion, les juridictions écartent le statut commercial et requalifient en bail professionnel, sauf renonciation expresse à ce dernier statut par le preneur au moment de la conclusion du bail. Cette exigence protège la liberté du preneur et évite que des mentions génériques : titre du contrat, clauses copiées-collées, renvois épars… ne produisent des effets qu’elles ne sont pas destinées à avoir.6
Points pratiques :
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- Cherchez la clause : sans mention explicite de renonciation « en connaissance de cause », la bascule conventionnelle vers le bail commercial est fragile.
- Vérifiez la date : immatriculation et existence ou création d’un fonds de commerce lors de la conclusion du bail.
- Documentez l’usage : bureaux, absence d’accueil de clientèle, nature civile/libérale de l’activité.
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QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE LA REQUALIFICATION DU BAIL COMMERCIAL EN BAIL PROFESSIONNEL ?
La requalification n’est pas cosmétique, elle produit des effets immédiats.
En premier lieu, elle ouvre la faculté de résiliation du bail par le preneur à tout moment avec préavis de six mois. La dette locative est dès lors bornée : sauf arriérés antérieurs et sommes dûment justifiées, loyers et charges ne peuvent excéder la période de préavis. Dans des litiges où le bailleur réclamait des loyers jusqu’à la prochaine échéance triennale, la requalification a permis d’aligner le solde sur six mois, générant des économies substantielles.
Enfin, la requalification renforce la position de négociation du preneur. Le bailleur, qui se croyait en situation de force jusqu’à l’échéance triennale, se trouve face à un horizon à six mois. Cette bascule favorise des sorties amiables et des transactions mesurées, au plus près de la réalité d’occupation et des obligations effectivement dues.
À retenir :
Requalifié en bail pro, le contrat retrouve sa logique : congé libre à tout moment et préavis limité à six mois.
QUELS SONT LES DÉLAIS JUDICIAIRES PERMETTANT DE DEMANDER LA REQUALIFICATION DE SON BAIL ?
La temporalité compte. Les actions tenant à l’application du statut sont encadrées par des délais spécifiques. Il convient d’identifier : la date de point de départ (souvent la prise d’effet du bail), la nature des demandes (requalification, contestation des accessoires, responsabilités), et la prescription applicable (spéciale ou quinquennale selon les chefs).
Si par principe les actions en requalification et en responsabilité personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter de la date ou celui qui s’en prévaut en a pris ou aurait dû en prendre connaissance.7 L’action en requalification d’un bail professionnel en bail commercial ou d’un bail commercial en bail professionnel se prescrit quant à elle par 2 ans à compter de la date d’effet de ce bail8.
Dans la pratique, la stratégie la plus efficace est souvent mixte. Une fois l’angle de la requalification consolidé, le preneur notifie un congé sur le fondement de l’article 57 A pour figer la borne de six mois, tout en ouvrant simultanément une négociation ou, si nécessaire, une action contentieuse ciblée. Cette combinaison sécurise le calendrier et réduit l’aléa financier.
Points pratiques :
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- N’attendez pas : les délais peuvent être brefs ; un audit rapide vous évite de perdre le bénéfice de vos droits.
- Posez le congé 57 A dès que le diagnostic est solide : vous bornez la dette à six mois.
- Gardez des preuves : bail, avenants, Kbis (ou son absence), appels de loyers, justificatifs de charges, constat de l’usage des lieux.
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CONCLUSION
La requalification d’un bail commercial en bail professionnel est un outil stratégique au service de la liberté d’entreprendre du preneur. Elle répond à une logique claire : lorsque les conditions légales du statut commercial ne sont pas réunies, le bail doit retrouver sa vocation naturelle. Pour écarter cette solution, une renonciation expresse, dépourvue d’ambiguïté et donnée en connaissance de cause, est indispensable. À défaut, la liberté de congé propre au bail professionnel s’impose, et avec elle la maîtrise du calendrier et la réduction de l’exposition financière.
En pratique, la méthode gagnante tient en trois gestes : auditer le contrat et l’usage des lieux ; vérifier l’absence de renonciation valable ; notifier le congé 57 A pour borner la dette à six mois, tout en négociant les accessoires selon la preuve disponible. Dans un environnement où la souplesse d’implantation est un avantage compétitif, la requalification permet de transformer un bail contraignant en un atout de gestion.
Nadia TIGZIM
Avocat en droit des baux commerciaux et fonds de commerce
Article rédigé par Paul Sollier étudiant de deuxième année au sein du Magistère de droit des affaires fiscalité et comptabilité d’Aix-en-Provence.
Références :
- Article 57 A de la loi n°86-1290 du 23 décembre 1986
- L145-4 Code de commerce
- L145-8 et s. Code de commerce
- Cass. 3e civ., 10 déc. 2002, n° 99-21.858
- Cass. 3e civ., 20 octobre 2016, n°15-20.285
- CA Versailles, Ch 1 6, 14 novembre 2024, n°23/02731
- Article 2224 du Code civil
- Article L145-60 Code de commerce ; Cass. 3eme civ., 14 septembre 2017 n°16-23.590