Nullité de la vente du fonds de commerce : attention à l’obligation d’information

La cession d’un fonds de commerce est une opération courante en droit commercial, consistant à transférer la propriété d’un ensemble de biens matériels et immatériels utilisés pour l’exploitation d’une activité commerciale.  Il peut toutefois arriver que la cession d’un fonds de commerce soit entachée d’un vice ou d’une irrégularité susceptible d’entrainer la nullité de la vente du fonds de commerce.

En effet, cette opération est soumise à des règles strictes, qui visent à protéger les intérêts des parties impliquées (cédant, cessionnaire, créanciers, tiers) mais également à préserver l’intégrité du consentement.

Quels sont les motifs de nullité d’une cession de fonds de commerce ? Quelles sont les conséquences pour les parties en cas de nullité ? Pour répondre à ces questions, nous nous appuierons sur un arrêt récent de la Cour de Cassation, rendu le 6 janvier 2021 (18-25.098), qui illustre les enjeux juridiques liés à la nullité de la cession d’un fonds de commerce.

1 – Conditions générales de validité d’une cession de fonds de commerce

Une cession de fonds de commerce est un contrat par lequel le propriétaire d’un fonds de commerce (le cédant) le vend à une autre personne (le cessionnaire), qui en devient le nouveau propriétaire.

Le fonds de commerce est un ensemble de biens matériels (mobilier, matériel, marchandises, etc.) et immatériels (clientèle, enseigne, nom commercial, droit au bail, etc.) qui permettent l’exercice d’une activité commerciale.

Les règles régissant le contrat de cession d’un fonds de commerce visent à assurer la transmission de cet ensemble d’éléments et surtout de la clientèle qui constitue l’essentiel de la valeur du fonds de commerce.

Elles visent également à assurer l’intégrité du consentement des parties à l’acte.

La loi du 19 juillet 2019 n°2019-744, relative à la simplification du droit des sociétés, entrée en vigueur le 21 juillet 2019, a mis fins aux mentions obligatoires dans l’acte de cession d’un fonds de commerce qui étaient auparavant mentionnées par l’article L 141-1 du Code de commerce.

Toutefois la cession de fonds de commerce reste soumise à l’article L. 141-3 et suivants du Code de commerce qui prévoit quant à lui que « le vendeur est, nonobstant toute stipulation contraire, tenu de la garantie à raison de l’inexactitude de ses énonciations dans les conditions édictées par les articles 1644 et 1645 du code civil »

La cession de fonds de commerce est également soumis aux règles générales du droit des contrats et notamment aux règles visant à assurer que le consentement des parties ne soit pas vicié.

L’article 1104 du Code Civil prévoit en effet que «les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public ».

L’article 1112-1 du Code Civil dispose quant à lui que «celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu’elle l’a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants »

L’article 1137 du Code civil dispose enfin que «le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ».

L’ensemble de ces infractions peuvent conduire à l’annulation de la vente. Attention cependant : compte tenu des conséquences extrêmes entrainées par une telle sanction, le législateur n’a toutefois pas prévu de sanction automatique.

Afin d’obtenir la nullité de la vente du fonds de commerce, le demandeur devra non seulement établir l’existence d’un motif de nullité mais également que ce motif est suffisamment grave pour entrainer la nullité de la vente.

L’arrêt de la Cour de Cassation du 6 janvier 2021 (18-25.098) fait une application sans surprise de ces principes en sanctionnant par la nullité de la vente du fonds de commerce la réticence dolosive du vendeur en infraction à son devoir de loyauté (1104 du Code Civil ) et à son obligation contractuelle et pré-contractuelle d’information ( article 1112-1 du Code Civil).

2 – Nullité de la vente du fonds de commerce pour infractions aux obligations de loyauté et d’information

Par une jurisprudence devenue constante, la Cour de cassation a ainsi décidé que le dol pouvait être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter (Civ. 2 octobre 1974, Bull. civ. III, n° 330, pourvoi n° 73-11.901; Civ. 15 janvier 1971, Bull. civ. III, n° 38 de pourvoi n° 69-12.180 ).

En matière d’intentionnalité de la dissimulation, la Cour de Cassation a également précisé que «le cocontractant qui garde le silence sur des informations dont il ne pouvait ignorer l’importance pour l’autre partie, l’a nécessairement fait intentionnellement» (Cass. com., 9 janvier 2019, n°17-28.725).

Il ressort donc des dispositions précitées que le dol, la réticence dolosive et l’infraction à l’obligation d’information sont constitués dès lors qu’est constatée l’existence :

  • D’une information déterminante du consentement d’une partie,
  • D’un devoir d’information légitime ( article 1112-1 du code civil),
  • D’une dissimulation intentionnelle d’une information ( article 1137 du code civil),
  • De manœuvres ou de mensonges ( article 1137 du code civil),

L’arrêt de la Cour de Cassation du 6 janvier 2021 (18-25.098) est un nouvel exemple de nullité d’une vente de fonds de commerce pour infraction à l’obligation d’information constitutive d’une réticence dolosive.

Les faits étaient les suivants : une société céde son fonds de commerce de restauration à une autre société, en omettant de l’informer des restrictions à l’activité de restauration posées par le règlement de copropriété et par une décision de l’assemblée générale des copropriétaires de l’immeuble abritant le fonds.

Le vendeur du fonds avait ainsi omis de porter à « la connaissance de la société Les Griottines que le fonds cédé ne pouvait être exploité qu’à certaines conditions et que l’obligation légale de loyauté contractuelle imposait à la société Champignon de porter à la connaissance de sa cocontractante la décision de l’assemblée générale qui avait une incidence directe sur les conditions d’exploitation du fonds, comme l’avaient fait à son égard les précédents propriétaires »

La Cour d’appel a accueilli la demande de la société cessionnaire et la Cour de Cassation a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel, en indiquant le vendeur du fonds avait commis une « réticence dolosive justifiant l’annulation des cessions du fonds de commerce et du bail commercial ».

3 – Conséquences de la nullité de la cession du fonds de commerce

La nullité d’une vente de fonds de commerce entraîne des conséquences importantes pour les parties impliquées.

En effet, la nullité a pour effet de rétroagir au jour de la conclusion du contrat, et d’anéantir rétroactivement tous les effets juridiques du contrat. Le contrat et la vente du fonds de commerce sont censés n’avoir jamais existé.

Ainsi, les parties doivent restituer ce qu’elles ont reçu en exécution du contrat : le cédant doit restituer le prix, et le cessionnaire doit restituer le fonds de commerce. Si la restitution en nature est impossible ou difficile, les parties peuvent être condamnées à verser des dommages-intérêts.