L’acquisition de la clause résolutoire ne peut être remise en cause par la mauvaise foi du bailleur.
Dans un arrêt en date du 26 octobre 2023 (pourvoi n° 22-16.216), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a ainsi considéré qu’« Il résulte de l’article L 145-1 du code de commerce que lorsqu’une ordonnance de référé passée en force de chose jugée a accordé au titulaire d’un bail à usage commercial des délais pour régler un arriéré de loyers et le loyer courant en suspendant la réalisation de la clause résolutoire, le non-respect de ces délais rend la clause définitivement acquise sans que la mauvaise foi de la bailleresse à s’en prévaloir puisse y faire obstacle ».
Si la décision peut sembler classique, la nouveauté réside dans le fait que la Cour de cassation ajoute expressément qu’il n’y a pas lieu de s’interroger sur la bonne ou la mauvaise foi du bailleur dès lors que les délais de grâce accordés par le Juge des référés n’ont pas été respectés.
Acquisition de la clause résolutoire
Après avoir donné à bail des locaux commerciaux, une SCI bailleresse s’est trouvée confrontée à un défaut de paiement de loyers par son locataire.
Par ordonnance en date du 22 octobre 2019, le juge des référés a, d’une part, constaté l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail, et a, d’autre part, prononcé l’expulsion du locataire, lui accordant un délai de paiement de 24 mois pour se libérer de l’arriéré locatif, avec suspension des effets de la clause résolutoire.
Le locataire a réglé sa dette sans respecter l’échéancier fixé par le Juge et il lui restait un solde minime de 31 euros lorsqu’il a été expulsé des lieux.
Il a alors saisi le Juge de l’exécution, arguant de la mauvaise foi du bailleur et sollicitait :
• La nullité du commandement d’avoir à quitter les lieux,
• L’absence d’effet de la clause résolutoire,
• L’irrégularité de la procédure d’expulsion,
• Sa réintégration dans les locaux.
Si le juge de l’exécution a déclaré cette demande irrecevable, la Cour d’appel de TOULOUSE, dans un arrêt en date du 17 mars 2022, a considéré qu’« Au regard du solde minime restant dû par rapport à l’importance de la dette initiale alors que par ailleurs la SASU AUTO TEAM Carrosserie a versé 20 000 euros en huit mois quand l’ordonnance de référé lui avait octroyé 24 mois pour apurer sa dette, la bailleresse doit être considérée comme ayant invoqué de mauvaise foi le jeu de la clause résolutoire qui doit être considérée comme n’ayant pas joué.
En conséquence, il doit être fait droit aux demandes de la SASU Auto Team Carrosserie de voir déclarer irrégulière la procédure d’expulsion et de réintégration […] ».
C’est en l’état que se présentait cette affaire devant la Cour de cassation qui a donc rappelé deux principes :
• la nécessité absolue pour le locataire de respecter les délais de paiement fixés par la décision du Juge de référés passée en force de chose jugée ;
• qu’il importe peu que le bailleur soit de bonne ou de mauvaise foi
Nécessité absolue de respecter les délais de paiement fixés par le juge pour éviter l’acquisition de la clause résolutoire
La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de TOULOUSE en estimant qu’il résulte de l’article L 145-41 du Code de commerce que « lorsqu’une ordonnance de référé passée en force de chose jugée a accordé au titulaire d’un bail à usage commercial des délais pour régler un arriéré de loyers et le loyer courant en suspendant la réalisation de la clause résolutoire, le non-respect de ces délais rend la clause définitivement acquise sans que la mauvaise foi de la bailleresse à s’en prévaloir puisse y faire obstacle ».
Depuis longtemps, la Cour de cassation, affirme la nécessité absolue pour le locataire de respecter strictement les échéanciers fixés par une instance juridictionnelle.
C’est ainsi par exemple que la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation a pu prendre les décisions suivantes :
• « La résolution doit être prononcée si le locataire ne respecte pas les conditions auxquelles le juge a subordonné la suspension de la clause résolutoire » (arrêt du 10 janvier 1990, n° 88-18.198)
• « L’ordonnance qui a suspendu les effets d’une clause résolutoire, ayant été rendue contradictoirement et ne prévoyant pas que son exécution serait soumise à sa signification, la résolution doit être constatée si le locataire n’a pas respecté les délais » (arrêt du 3 décembre 2003, n° 02-14.645) ;
• « Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la locataire n’avait pas procédé aux paiements selon l’échéancier fixé par l’ordonnance du 29 juillet 2005 et qu’en conséquence, la clause résolutoire des baux avait produit ses effets dès le 14 juin 2005, la cour d’appel a violé le texte susvisé » (arrêt de la du 14 mai 2008, 07-17.121).
Dans cette dernière affaire, il est important de remarquer que le paiement de la totalité des sommes dues avait eu lieu le jour de l’audience.
La position de la Cour de cassation est donc extrêmement stricte à l’égard du locataire qui se retrouve avec une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête : tout manquement de paiement de la somme due, dans le délai fixé par le juge, entraîne, de facto la résiliation du bail.
Un seul jour de retard, un seul euro manquant, et le couperet tombe : la clause résolutoire est acquise.
La Cour de cassation relève que l’ordonnance de référé était passée en force de chose jugée, autrement dit une décision qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution.
Or, en vertu de l’article 488 du Code de procédure civile, une ordonnance de référé n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée, ce qui devrait théoriquement permettre aux juges du fond d’apprécier de nouveau l’affaire en accordant, par exemple, de nouveaux délais.
La Cour de cassation est cependant intransigeante sur ce point : l’ordonnance du juge des référés doit être scrupuleusement respectée et lorsque le juge du fond constate que ce n’est pas le cas, il ne peut suspendre la clause résolutoire en accordant de nouveaux délais (Cass. 3ème civ., 14 octobre 1992, n° 90-21.657 / Cass. 3ème civ., 02 avril 2003, n° 01-16.834 : Cass. 3ème civ. 15 octobre 2008, n° 07-16.725).
Dès lors, même si elle n’a pas autorité de la chose jugée, l’ordonnance est passée en force de chose jugée et le juge du fond ne peur revenir sur les exigences posées pour écarter l’acquisition de la clause résolutoire (voir notamment CA Paris, 16ème, 14-03-2005, n° 03/14884).
La bonne ou mauvaise foi du bailleur est sans conséquence
Le bail commercial, comme tout contrat, doit répondre aux dispositions de l’article 1104 du Code civil qui est d’ordre public : il doit être négocié, formé et exécuté de bonne foi.
La clause résolutoire prévue au bail commercial doit donc être invoquée de bonne foi par le bailleur (voir par exemple : Cass. 3ème civ., 25 novembre 2009, n° 08-21.383 / Cass. 3ème civ., 10 novembre 2010, n° 09-15.937).
Par exemple, un bailleur est de mauvaise foi lorsque :
• il met en œuvre la clause résolutoire dans le seul but d’échapper à ses propres obligations de renouveler le bail qui arrive à expiration (Cass. 3ème civ., 15 septembre 2009, n° 08-17.472) ;
• il savait que le fonds comportait des activités en sus de celles mentionnées au bail (Cass. 3ème civ. 29 janvier 2002, n° 00-18.210) ;
• il n’ignorait pas que l’état d’insalubrité des lieux rendait impossible l’exploitation normale du restaurant (Cass. 3ème civ., 11 février 2004, n° 02-20.184) ;
• il exige brusquement le paiement des charges sur plusieurs années à la suite du refus du locataire d’accepter une augmentation de loyer (Cass. 3ème civ., 5 novembre 2015, n° 14-11.024)
En l’espèce, la Cour d’appel de TOULOUSE avait considéré que, au regard du solde minime restant dû (31 euros sur une dette de plus de 20 000 euros), le bailleur était de mauvaise foi en poursuivant l’exécution de la clause résolutoire et la résiliation définitive du bail.
De prime abord, une telle décision paraît équitable.
Pour autant, la position de la Cour de cassation est juridiquement indiscutable lorsqu’elle affirme « sans que la mauvaise foi de la bailleresse à s’en prévaloir puisse y faire obstacle ».
Il ne faut pas confondre la mise en œuvre d’une décision de justice avec la mise en œuvre de la clause résolutoire d’un contrat : ce sont bien les conventions qui doivent être exécutées de bonne foi, non les décisions de justice.
La chose jugée est tenue pour vraie et doit être exécutée, sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur la bonne ou mauvaise foi de celui qui l’exécute.
La décision est sévére, voire même inequitable mais juridiquement fondée.
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Nadia TIGZIM
Avocat en droit des baux commerciaux