En cas de nullité d’un bail commercial pour un motif étranger au comportement du locataire, l’indemnité d’occupation représente la contrepartie de la jouissance des lieux. Dès lors, si le locataire n’a pas bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle, il n’est pas redevable d’une indemnité d’occupation, a dit la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 3 novembre 2021 (numéro du pourvoi 20-16.334), publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, ce qui présuppose sa portée doctrinale.
Un bail commercial a été conclu entre deux sociétés : une société civile immobilière, propriétaire de locaux commerciaux (ci-après la SCI ou la bailleresse) et une autre société (ci-après la locataire). Ledit contrat, conclu pour une durée de neuf ans, prend effet à compter du 1er octobre 2012.
Avant d’entrer en jouissance des lieux, la locataire a confié à une société (ci-après la société FBS) des travaux de rénovation du local.
La bailleresse a fait délivrer un commandement, visant la clause résolutoire du bail, de payer la somme de 37.928,38 euros au titre des loyers dus pour la période du 1er janvier 2013 au 31 mars 2014.
La clause résolutoire est celle qui autorise une partie ou chacune des parties à résoudre le contrat, c’est-à-dire de mettre fin au contrat unilatéralement. Pour être efficace, la clause résolutoire doit, selon les termes de l’article 1125 du Code civil, préciser les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat.
A la suite de ce commandement de payer, la locataire a, par acte d’huissier de justice du 29 avril 2014, fait assigner la SCI et la société FBS devant le tribunal de grande instance de Paris (devenu le tribunal judiciaire) en opposition à commandement, en sollicitant la nullité du bail, car elle ignorait que le local était dépourvu de circuit d’évacuation des eaux usées en sous-sol contrairement à ce qui avait été indiqué. La locataire demande aussi des dommages-intérêts pour le préjudice subi
Sur la nullité du bail commercial pour cause d’erreur commise par le locataire
Dans l’affaire commentée, le bail commercial a été déclaré nul en première instance et en appel, sur le fondement d’une erreur excusable constituant un vice du consentement, commise par la locataire qui ignorait que le local était dépourvu de circuit d’évacuation des eaux usées en sous-sol contrairement à ce qui avait été indiqué.
Il convient de rappeler que le bail litigieux stipule que le bailleur s’était engagé à ‘mettre à disposition un conduit d’extraction des fumées de cuisson, nécessaires aux termes de la réglementation de sécurité contre l’incendie […] à l’exploitation des locaux conformément à leur destination […]’ . Mais il ne contient aucune stipulation expresse selon laquelle la cuisine du restaurant devait être installée en sous-sol. Face à cette absence, la Cour d’appel de Paris a déduit de la commune intention des parties la possibilité d’installer la cuisine dans le sous-sol. Elle a jugé que c’est à juste titre que le tribunal de grande instance a retenu que compte tenu de la taille réduite du local commercial du rez-de-chaussée de moins de 35 m², devant être réservé à la clientèle, l’installation de la cuisine au sous-sol était déterminante du consentement de la société locataire. La présence des évacuations des eaux usées suffisantes constituait une condition déterminante pour la locataire de conclure ce bail. L’erreur sur la substance est ainsi établie.
En appel, la SCI a sollicité, à titre reconventionnel et subsidiaire, une somme de 106 764,38 euros au titre d’indemnité d’occupation des locaux loués en cas de nullité du bail. La Cour d’appel de Paris a condamné la locataire à verser seulement une indemnité de 37 000 euros.
Cherchant à contester la condamnation à verser les dommages-intérêts, la SCI a formé un pourvoi principal contre la décision de la Cour d’appel de Paris. Cependant, la locataire a en même temps formé un pourvoi incident contre la même décision.
Sur les dommages-intérêts consécutifs à la nullité du bail commercial pour dol
En matière de responsabilité, il existe un principe bien connu, celui de la réparation intégrale : “les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu’il en résulte pour elle ni perte ni profit”. La Cour de cassation juge traditionnellement que « le juge apprécie souverainement le montant du préjudice, dont il justifie l’existence par la seule évaluation qu’il en fait, sans être tenu d’en préciser les divers éléments » (Cour de cassation, assemblée plénière, 26 mars 1999, pourvoi n° 95-20.640 ; 2ème Chambre civile, 21 avril 2005, pourvoi n° 04-06.023, Chambre commerciale, 24 mai 2017, pourvoi n° 15-21.179). Mais elle juge également que méconnaît son office le juge qui refuse d’évaluer un dommage dont il a constaté l’existence en son principe, c’est-à-dire sans rapport avec l’étendue du préjudice subi. (Cour de cassation, 3ème chambre civile, 6 février 2002, pourvoi n° 00-10.543).
Dans l’arrêt commenté, en examinant le pourvoi principal de la bailleresse, la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la Cour d’appel, en appliquant le principe de la réparation intégrale rappelé précédemment. Ce principe limite donc les préjudices réparables. En l’occurrence, la Cour d’appel de Paris
Pour fixer le préjudice subi par la locataire à la somme de 130 000 euros, la Cour d’appel de Paris a pris en compte le prêt de 100 000 euros souscrit par la locataire, ayant pour objet de financer les dépenses afférentes aux travaux d’aménagement, d’amélioration et de réparation du fonds de commerce. Néanmoins, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel de ne pas rechercher, comme elle y était invitée, le montant des dépenses financées par le prêt. En prenant en compte l’intégralité du prêt, la Cour d’appel a violé le principe de la réparation intégrale.
Sur l’indemnité d’occupation des locaux loués consécutive à la nullité du bail commercial
En examinant le pourvoi incident de la locataire, la Cour de cassation a rappelé dans l’attendu de principe qu’il résulte de l’article 1304 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu’en cas d’annulation d’un bail pour un motif étranger au comportement du preneur (locataire), l’indemnité d’occupation représente la contrepartie de la jouissance des lieux. Mais cette indemnité d’occupation n’est redevable que si le locataire a bénéficié de la jouissance de locaux conformes à leur destination contractuelle.
Dans l’arrêt commenté, pour condamner la locataire au paiement d’une indemnité d’occupation suite à l’annulation du bail commercial, la Cour d’appel de Paris a considéré qu’il importe peu que la locataire n’ait pu exploiter les locaux loués, la bailleresse ayant été privée de la jouissance de son bien jusqu’à la remise des clés. Malgré sa propre constatation du caractère impropre du local loué à la destination prévue par le contrat (activité traiteur, restaurant, bar), caractérisé par l’insuffisance du réseau d’évacuation des eaux usées, la Cour d’appel de Paris a quand même accordé à la bailleresse une indemnité d’occupation des lieux loués.
Cette décision a été, à juste titre, censurée par la Cour de cassation pour violation de la règle rappelée précédemment.
Le résumé de l’affaire en tableau
Nullité du bail | Montant des dommages-intérêts devant être versés à la locataire | Montant de l’indemnité d’occupation des locaux devant être versée à la bailleresse | |
Le tribunal de grande instance de Paris | Oui | 200 000 euros | Néant |
La Cour d’appel de Paris | Oui | 130 000 euros | 37 000 euros sur
106 764,38 euros demandés |
La Cour de cassation | Aucune demande | Cassation de la décision d’appel. L’affaire sera rejugée par la Cour d’appel de Paris autrement composée. | Cassation de la décision d’appel. L’affaire sera rejugée par la Cour d’appel de Paris autrement composée.
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