Egalité entre salariés et différence de traitement

La différence de traitement entre salariés se heurte au principe d’égalité entre salariés dont un des aspects illustré par la maxime« à travail égal salaire égal » a été dégagé par la jurisprudence Ponsolle du 29 octobre 1996, à propos de l’égalité de rémunération entre salariés.

Le principe d’égalité de traitement entre salariés vient élargir le principe de l’arrêt Ponsolle en ce qu’il exige que les salariés justifiant d’une situation identique puissent bénéficier des mêmes avantages. Il n’exclut cependant pas que la spécificité de certains emploi au sein de catégories professionnelles distinctes puisse justifier une différence de traitement entre salariés.

La Cour de Cassation a eu plusieurs fois l’occasion de se prononcer sur le sujet et notamment sur la validité des conventions collectives accordant certains avantages aux salariés en fonction de leur catégorie professionnelle. La jurisprudence de la Cour a cependant évolué en la matière, les principes applicables étant dorénavant fixés au regard du revirement de jurisprudence du 27 janvier 2015, précisé et confirmé le 8 juin 2016.

Différence de traitement entre salariés et condition d’objectivité

C’est dans un arrêt du 1er juillet 2009 que la Cour de cassation vise le principe d’égalité de traitement pour rejeter une décision de la Cour d’appel. Il s’agissait en l’espèce d’un accord collectif que la Cour d’Appel avait considéré comme valable alors qu’il prévoyait un nombre de jours de congés différents selon la catégorie professionnelle du salarié.

La Chambre Sociale de la Cour de cassation, a toutefois contredit la Cour d’Appel en considérant que « la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage ». La Cour estimait en effet qu’une différence de traitement entre salariés de différentes catégories professionnelles doit être motivée par « des raisons objectives dont le juge doit en contrôler concrètement la pertinence »

Un arrêt postérieur du 8 juin 2011 est venu à son tout entériner cette jurisprudence tout en y ajoutant des précisions essentielles permettant d’identifier les éléments objectifs auxquels les Conseils de Prud’hommes doivent se référer afin d’apprécier la légitimité de cette différence de traitement entre salariés.

D’après la Chambre sociale de la Cour de cassation, une différence de traitement entre salariés peut être justifiée par une raison objective et pertinente relevant notamment d’une différence de catégorie professionnelle dès lors qu’elle a pour but de prendre en compte les particularités de la situation des salariés relevant d’une catégorie spécifique.

Cette raison objective et pertinente doit être vérifiée par le Conseil de Prud’hommes qui doit notamment s’assurer que les différences de traitement entre salariés ont bien « pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération ».

L’emploi de l’adverbe « notamment » dans l’attendu de la Cour démontre que ces éléments ne sont pas exhaustifs, mais donnent simplement des indications sur les spécificités entre salariés relevant de catégories professionnelles distinctes qui peuvent être prises en compte dans l’octroi d’avantages particuliers.

Légitimation de la différence de traitement entre salariés par les accords collectifs

Selon les arrêts de 2009 et 2011 précédemment cités, la différence de traitement entre salariés de catégories professionnelles distinctes doit être fondée sur des critères objectifs et pertinents, les conventions collectives ne pouvant se cantonner à soulever une différence de catégorie professionnelle pour la justifier lorsque les salariés se retrouvent dans une même situation par rapport à cet avantage.

Cette jurisprudence a été anéantie par un revirement de jurisprudence de Janvier 2015 confirmé en Juin 2016 offrant une place privilégiée aux accords et conventions collectives dont relèvent les salariés.

Revirement de jurisprudence par un arrêt du 27 janvier 2015

Dans cette affaire, un ouvrier avait saisi le Conseil de Prud’Hommes à l’issu de son licenciement afin d’en contester la légitimité et de demander à cette occasion un complément d’indemnité conventionnelle de licenciement plus favorable qui n’était applicable qu’aux cadres.

La Cour d’Appel s’est prononcée conformément à la jurisprudence antérieure de la Cour de Cassation en considérant que l’avantage octroyé aux seuls cadres n’était pas justifié dans la mesure où tous les salariés étaient placés dans la même situation au regard de cet avantage.

Elle a cependant été contredite par la Chambre Sociale qui a opéré un revirement de jurisprudence en constatant que « les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle »

Du fait de la présomption édictée dans cet arrêt, la charge de la preuve est aujourd’hui inversée, l’avocat de la partie se considérant comme lésée, devant dorénavant prouver que la différence de traitement dont elle a été victime est « étrangère à toutes considérations de nature professionnelle »

Confirmation du revirement par deux arrêts du 8 juin 2016

Ces deux arrêts s’inscrivent dans le prolongement de l’arrêt du 27 janvier 2015. Le second ajoute cependant une précision importante.

Dans la première affaire, un salarié contestait la différence d’indemnité conventionnelle de licenciement entre cadres et non-cadres. Le salarié est cependant débouté sur le même attendu que celui figurant dans l’arrêt du 27 janvier 2015.

Dans la seconde affaire, il s’agissait de salariés revendiquant devant le Conseil de Prud’hommes des avantages collectifs indemnitaires que deux accords collectifs n’octroyaient qu’aux salariés appartenant à une certaine catégorie professionnelle.

Leurs avocats faisaient valoir que l’octroi de ces avantages aux seuls cadres de direction et chef de service était du uniquement à leur catégorie professionnelle et non à la particularité de leurs fonctions.  Ces salariés se considérant comme étant dans la même situation au regard de ces avantages, cette distinction entre catégorie professionnelle n’était donc pas valable.

Afin de rejeter leurs demandes, la Chambre Sociale reprend à nouveau l’attendu figurant dans l’arrêt du 27 janvier 2015 tout en précisant la différenciation à l’intérieur d’une même catégorie professionnelle peut désormais être justifiée de la même manière : « les différences de traitement entre catégories professionnelles ou entre des salariés exerçant, au sein d’une même catégorie professionnelle, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d’accord collectifs, négociés et signés par les organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle »

La cour ne se réfère donc plus uniquement au traitement de salariés entre catégories professionnelles distinctes mais élargie sa jurisprudence aux différences de traitement au sein d’une même catégorie. La distinction dans le traitement des salariés sera dans ce cas motivée par les différentes fonctions des salariés.

Les arrêts du 27 janvier 2015 et du 8 juin 2016 confèrent un impact important aux conventions collectives signées par les organisations syndicales représentatives, en permettant de présumer que les différences de traitements contenues dans ces accords collectifs sont justifiées. La Cour de Cassation refuse ainsi de s’immiscer dans des accords débattus, négociés et signés.

Cependant cette présomption n’est pas irréfragable et les avocats de salariés devront à l’avenir rechercher si les différences de traitement entre catégories professionnelles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle afin de la renverser.

Nadia TIGZIM
Avocat en droit du travail