La prescription joue un rôle central dans le contentieux des baux commerciaux.
Si l’article L. 145-60 du Code de commerce fixe un délai de prescription biennale pour les actions fondées sur le statut des baux commerciaux, d’autres actions relevant du droit commun obéissent à une prescription quinquennale, voire à des délais spécifiques.
L’articulation de ces délais, parfois source d’incertitudes contentieuses, a donné lieu à une jurisprudence abondante précisant leur champ d’application, leur point de départ ainsi que les événements susceptibles de les interrompre ou de les suspendre.
Compte tenu de la briéveté de la prescription biennale issue de l’article L 145-60 du Code de commerce, il est important de clarifier le régime juridique applicable en fonction de la nature du litige afin d’éclairer les parties sur la gestion stratégique de leurs droits en matière de baux commerciaux.
PRESCRIPTION BIENNALE DES ACTIONS FONDEES SUR LE STATUT DES BAUX COMMERCIAUX
L’article L. 145-60 du Code de commerce dispose que toutes les actions fondées sur le statut des baux commerciaux sont soumises à une prescription biennale. Ce délai de 2 ans s’applique exclusivement aux actions exercées sur le fondement des articles L. 145-1 à L. 145-60 du Code de commerce, son champ d’application étant alors précisé par la jurisprudence.
CHAMP D’APPLICATION DE LA PRESCRIPTION BIENNALE
Relèvent notamment de cette prescription les actions en justice relatives :
- À la révision triennale du loyer (Cour de cassation, 3e chambre civile, 1er juin 1988, n°86-14.659),
- À la fixation du loyer du bail renouvelé, qu’elle soit à l’initiative du bailleur (Cour de cassation, 3e chambre civile, 28 février 1979, n° 77-13.394) ou du preneur (Cour de cassation, 3e chambre civile, 20 octobre 2016, n° 15-19.940),
- À la fixation du loyer d’un bail commercial né à l’issue d’un bail dérogatoire (Cour de cassation, 3e chambre civile, 7 juillet 2016, n° 15-19.485
FIXATION DE L’INDEMNITÉ D’OCCUPATION : UN RÉGIME PARTICULIER
L’action en fixation d’une indemnité d’occupation, prévue par l’article L. 145-28 du Code de commerce, répond à un régime spécifique.
Si le principe veut que cette action soit soumise à la prescription biennale (Cour de cassation, 3e chambre civile, 10 mars 2004, n° 02-16.548), la jurisprudence a cependant précisé que :
- Pour la période antérieure à l’exercice du droit d’option, l’indemnité d’occupation découle directement du statut des baux commerciaux (article L. 145-47 du Code de commerce) et relève donc de la prescription biennale.
- Pour la période postérieure à l’exercice du droit d’option, l’indemnité d’occupation n’étant plus régie par le statut des baux commerciaux, elle échappe à la prescription biennale et relève du droit commun (Cour de cassation, 3e chambre civile, 16 mars 2023, n°21-19.707).
AUTRES ACTIONS SOUMISES A LA PRESCRIPTION BIENNALE
Le délai de 2 ans est également applicable aux actions suivantes :
- L’action en paiement des intérêts dus sur les loyers d’avance (article L. 145-40 du Code de commerce) (Cour d’appel de Paris, 8 mars 1984, n° J 12884),
- L’action en contestation de l’exécution d’un congé délivré en application de l’article L. 145-9 du Code de commerce (Cour de cassation, 3e chambre civile, 29 octobre 1973, n° 72-13.322),
- La contestation de la validité d’un congé (Cour de cassation, 3e chambre civile, 14 juin 1972, n° 71-10.913),
- L’action en nullité d’un congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction (Cour de cassation, 3e chambre civile, 15 novembre 2005, n° 04-16.591),
- L’action en paiement d’une indemnité d’éviction, qu’elle soit issue d’une décision de justice irrévocable (Cour de cassation, 3e chambre civile, 18 décembre 2002, n° 01-11.189) ou d’un droit incontesté au jour de l’action (Cour de cassation, 3e chambre civile, 31 mai 2007, n° 06-12.907).
PRESCRIPTION BIENNALE ET REQUALIFICATION EN BAIL COMMERCIAL
L’action en requalification d’une convention locative en bail commercial est également soumise à la prescription biennale (Cour de cassation, 3e chambre civile, 23 novembre 2011, n° 10-24.163 ; 7 décembre 2022, n° 21-23.103 ; 25 janvier 2023, n° 21-24.394).
Ce délai de prescription court à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est demandée, « même en présence d’une succession de contrats distincts dérogatoires aux dispositions du statut des baux commerciaux […] » (Cour de cassation, 3e chambre civile, 25 mai 2023, n°22-15.946).
LA PRESCRIPTION QUINQUENNALE DE L’ACTION EN JUSTICE
Par ailleurs, l’article 2224 du Code civil prévoit un délai de prescription de 5 ans qui s’impose à toutes les actions ne relevant pas des dispositions du statut des baux commerciaux.
Relèvent notamment de cette prescription :
- L’action en résiliation judiciaire du bail pour inexécution des obligations contractuelles (Cour de cassation, 3e chambre civile, 3 juillet 1985, n° 84-11.807 ; 12 juillet 1989, n° 88-10.159),
- Le paiement d’une indemnité de résiliation anticipée prévue contractuellement (Cour de cassation, 3e chambre civile, 9 mars 2023, n° 21-20.358),
- Le paiement d’une indemnité d’occupation par un locataire devenu occupant sans droit ni titre et ne pouvant plus bénéficier du statut des baux commerciaux (Cour de cassation, 3e chambre civile, 14 mars 1973, n° 71-13.963 ; 21 mai 1974, n° 73-10.786 ; Cour d’appel de Paris, 1er décembre 2000, n° 99-8302 ; Cour de cassation, 3e chambre civile, 26 janvier 2017, n° 16-10.235).
- L’action en expulsion d’un locataire sans droit ni titre (Cour de cassation, 3e chambre civile, 12 février 1971, n° 69-11.616),
- L’action en paiement d’une indemnité compensatoire en raison d’un retard dans l’exécution de travaux (Cour de cassation, 3e chambre civile, 14 janvier 2016, n° 14-23.134),
- Au recouvrement des loyers et sous-loyers impayés (Cour de cassation, 3e chambre civile, 25 avril 2024, n° 22-23.291),
- Au recouvrement des charges impayées (Cour d’appel de Paris, 5 septembre 2024, n° 23/01839),
- À la constatation de l’existence d’un bail commercial né du maintien en possession du locataire à l’issue d’un bail dérogatoire (Cour de cassation, 3e chambre civile, 1er octobre 2014, n° 13-16.806
POINT DE DÉPART DES DÉLAIS DE PRESCRIPTION
Le point de départ du délai de prescription constitue une arme essentielle pour le défendeur. Mal utilisée, elle peut néanmoins se révéler redoutable pour celui qui en méconnaît les subtilités.
Conformément aux articles 2224 et 2227 du Code civil, la prescription des actions personnelles, mobilières et réelles immobilières court à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La jurisprudence a toutefois assoupli cette règle afin d’adapter son application aux exigences de la vie économique.
ACTIONS RELATIVES AUX CONGÉS ET AU RENOUVELLEMENT DU BAIL
- Contestation de la validité d’un congé : la prescription court à compter de la date d’effet du congé (Code de commerce, article L. 145-9, alinéa 5). Une erreur de date dans la notification du congé ne remet pas en cause ce point de départ (Cour de cassation, 3e chambre civile, 23 janvier 2021, n° 20-10.026).
- Validité d’un refus de renouvellement : lorsque le bailleur refuse le renouvellement du bail après une demande de renouvellement du preneur, le délai de prescription court à compter de la date de signification du refus, peu importe si cette date est antérieure au terme du bail (Cour de cassation, 3e chambre civile, 3 novembre 2021, n° 20-18.351).
ACTIONS EN REQUALIFICATION D’UNE CONVENTION LOCATIVE EN BAIL COMMERCIAL
Le délai de prescription court à compter de la date de conclusion de la convention (Cour de cassation, 3e chambre civile, 23 novembre 2011, n° 10-24.163).
Cette prescription s’applique même en cas de reconduction tacite (Cour de cassation, chambre commerciale, 11 juin 2013, n° 12-16.103) ou de renouvellements successifs par avenants (Cour de cassation, 3e chambre civile, 3 décembre 2015, n° 14-19.146 ; 14 septembre 2017, n° 16-23.590).
Elle concerne aussi bien les conventions écrites (Cour de cassation, 3e chambre civile, 29 novembre 2018, n° 17-24.715) que les conventions verbales (Cour de cassation, 3e chambre civile, 7 décembre 2022, n° 21-23.103 ; 25 janvier 2023, n° 21-24.394).
ACTIONS EN FIXATION ET RÉVISION DU LOYER
Fixation du loyer à l’issue d’un bail dérogatoire : lorsque le bail commercial succède à un bail dérogatoire, le délai de prescription court à compter de la demande d’application du statut des baux commerciaux formulée par l’une des parties, et non à partir de la date de naissance du bail commercial (Cour de cassation, 3e chambre civile, 7 juillet 2016, n° 15-19.485).
Le délai de prescription de l’action en révision du loyer court à compter de l’expédition de la demande de révision effectuée par lettre recommandée avec accusé de réception (Cour de cassation, 3e chambre civile, 7 novembre 1990, n° 89-12.922 ; 13 février 2002, n° 00-17.667).
INTERRUPTION ET SUSPENSION DES DÉLAIS DE PRESCRIPTION
La prescription peut rencontrer sur son chemin des situations pouvant transformer le délai imposé. Il en va ainsi de l’interruption et de la suspension.
Si l’interruption efface le délai existant et relance un délai de prescription de même durée que le précédent (Code civil, article 2231), la suspension se contente de figer le délai restant (Code civil, article 2230). En matière de baux commerciaux, la qualification d’un événement comme interruptif ou suspensif est souvent déterminante dans l’issue du contentieux.
INTERRUPTION DE LA PRESCRIPTION
L’interruption a pour effet d’effacer le délai déjà écoulé et d’en faire courir un nouveau, de même durée que le précédent.
- Introduction d’une action en justice :
Toute demande en justice, y compris en référé, interrompt le délai de prescription jusqu’à l’extinction de l’instance (Code civil, article 2242).
Lorsque cette interruption résulte d’une assignation, la date à prendre en compte est celle de sa délivrance, et non celle de son enregistrement au greffe. Cette règle s’applique notamment aux actions en fixation de l’indemnité d’occupation (Cour de cassation, 3e chambre civile, 27 novembre 2002, n° 01-10.058) ainsi qu’aux actions en paiement de l’indemnité d’éviction (Cour de cassation, 3e chambre civile, 22 juin 2022, n° 20-20.844).
- Autres causes d’interruption :
La prescription est également interrompue dans d’autres situations :
- Reconnaissance du droit du créancier par le débiteur (Code civil, article 2240) ;
- Saisine d’une juridiction incompétente, dès lors qu’une nouvelle action est engagée devant la juridiction compétente (Code civil, article 2241) ;
- Adoption d’une mesure conservatoire ou exécution forcée, telles qu’une saisie ou un commandement de payer (Code civil, article 2244).
- Effet d’un mémoire préalable en matière de loyers commerciaux :
Lorsqu’un mémoire préalable est notifié au président du tribunal judiciaire en sa qualité de juge des loyers, la prescription est interrompue à compter de l’expédition du mémoire par lettre recommandée avec accusé de réception (Cour de cassation, 3e chambre civile, 17 octobre 2012, n° 11-21.646).
Un nouveau délai biennal recommence alors à courir, obligeant à assigner en justice dans ce délai, y compris en l’absence de signature du mémoire (Cour de cassation, 3e chambre civile, 13 février 2002, n° 00-18.671) ou en présence d’un vice de fond l’affectant (Cour de cassation, 3e chambre civile, 8 juillet 2015, n° 14-15.192).
Attention : une notification par lettre simple ne produit aucun effet interruptif (Cour de cassation, 3e chambre civile, 2 février 2005, n° 03-18.042).
SUSPENSION DE LA PRESCRIPTION
Contrairement à l’interruption, la suspension gèle temporairement le délai de prescription, qui reprend son cours une fois l’empêchement levé.
- Suspension en cas de mesure d’instruction : Conformément à l’article 2239 du Code civil, la prescription est suspendue lorsqu’une mesure d’instruction est ordonnée avant toute instance. Cette suspension demeure en vigueur pendant toute la durée de l’instruction et ne prend fin qu’à compter du jour où la mesure a été exécutée.
- Suspension en cas de résolution amiable du litige : La prescription est également suspendue lorsque les parties conviennent de recourir à la médiation ou la conciliation ou à une convention de procédure participative (Code civil, article 2238).
- Suspension en cas de dépendance à une autre instance : Lorsqu’une action en cours conditionne l’exercice d’un droit, la prescription est suspendue tant que cette instance n’a pas été tranchée (Cour de cassation, 3e chambre civile, 23 mars 1977, n° 75-15.533). Ainsi, lorsqu’une action en fixation des loyers est engagée après une demande en acquisition de la clause résolutoire devant le juge des référés, la prescription est suspendue jusqu’à ce que cette dernière soit jugée (Cour d’appel de Paris, 3 avril 1981, n° 49606).
EFFET DE LA FRAUDE SUR LES DELAIS DE PRESCRIPTION
La Cour de cassation a rappelé que le principe « fraus omnia corrumpit » (la fraude corrompt tout) suspend le délai de prescription applicable aux actions en matière de baux commerciaux.
(Cour de cassation, 3e chambre civile, 30 mai 2024, n° 23-10.184).
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Nadia TIGZIM
Avocat en droit des baux commerciaux