Liberté d’expression du salarié et licenciement

La liberté d’expression est un droit protégé et encadré en France par de nombreux textes dont la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui dispose en son article 10 que «nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi » et en son article 11 que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi ».

Le monde du travail n’échappe pas à ce droit constitutionnellement reconnu ainsi qu’aux limites dans lesquelles cette liberté peut s’exercer. Les Conseils de Prud’hommes ainsi que les avocats spécialisés en droit du travail ont de plus en plus fréquemment sollicités sur ce type de question qui ne relevaient pas jusqu’alors de leur champ de compétence.

La Cour de Cassation a depuis une dizaine d’années posé les contours de sa jurisprudence en la matière : par une série d’arrêts rendus en novembre et décembre 2014, la Cour de Cassation vient une nouvelle fois d’en rappeler la teneur.

En effet, si le salarié bénéficie d’une liberté d’expression reconnue dans sa vie professionnelle aussi bien au sein de l’entreprise que hors de l’entreprise (sur les réseaux sociaux par exemple) c’est cependant sous réserve de ne pas en abuser ni de nuire à autrui, et notamment à son employeur, de façon illégitime et disproportionnée.

Or, le principe posé, on s’aperçoit que les limites posées à la liberté d’expression du salarié par la jurisprudence et les Conseils de Prud’hommes saisis en la matière sont cependant difficiles à déterminer en pratique. Elles laissent une grande marge d’appréciation aux juges, à qui il revient de fixer au cas par cas les frontières du droit d’expression des salariés. C’est en réalité en fonction du contexte professionnel du salarié et de la publicité donnée à ces propos que les lignes de l’abus du droit à la liberté d’expression sont tracées.

Aspects principaux de la liberté d’expression du salarié

L’article L2281-1 du Code du travail dispose que «les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail »

Liberté d’expression et droit de critique

Cette liberté comporte en effet un premier volet qui est celui d’un droit de critique reconnu au salarié dans les conditions prévues par l’article L2281-1 du Code du Travail sans que le pouvoir de direction et de sanction de l’employeur ne puisse y faire échec.

En atteste notamment un arrêt du 27 mars 2013, au sein duquel  la chambre sociale de la Cour de cassation a rappelé que « sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression » même si cette liberté d’expression revêt un aspect critique à l’égard des conditions de travail et de la hiérarchie du salarié.

En l’espèce, il s’agissait d’un directeur commercial qui avait envoyé une lettre critiquant la direction de l’entreprise aux membres du conseil d’administration et aux dirigeants de la société-mère. Ce salarié avait été licencié pour faute lourde le conduisant alors à saisir le Conseil de Prud’hommes afin de contester son licenciement.

Le Conseil de Prud’hommes avait retenu cette faute lourde, l’avocat de l’employeur soulignant la prétendue intention malveillante du salarié lors de la rédaction de cette lettre de critique. Or, la Cour de Cassation ne voit aucun fait fautif dans les critiques formulées par le salarié.

Pour la Cour de cassation, cette lettre de critique adressée aux membres du conseil d’administration et aux dirigeants de la société-mère mais qui ne comportait pas de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs ne constituait pas un abus même si elle remettait en cause la direction de l’entreprise.

Cet arrêt affirmant un véritable de droit de critique dans l’entreprise n’est cependant pas isolé, puisque l’on observe depuis quelques années une jurisprudence de la Cour de cassation très favorable à ce type d’expression :

Liberté d’expression et vie privée

En outre, dans un second aspect, les juges cherchent également à protéger la liberté d’expression du salarié au regard de sa vie privée lors de sa communication personnelle au sein de l’entreprise.

Il a ainsi été jugé dans un arrêt du 15 décembre 2010 de la Chambre sociale de la Cour de cassation que la messagerie personnelle et identifiée comme telle du salarié relève de sa vie privée et ne peut être utilisée par l’employeur comme motif de licenciement.

Ainsi, si le salarié a droit au respect de sa vie privée sur son lieu de travail, encore faut-il qu’il soit prudent. En effet, il lui appartient de prendre toutes les mesures pour conserver le caractère personnel de sa communication notamment en identifiant, selon un arrêt du 26 janvier 2012, ses fichiers et courriels comme « personnel ».

De surcroît, concernant l’expression du salarié sur les réseaux sociaux, la Cour de Cassation a précisé que si le salarié bénéficie là encore de sa pleine liberté, cette liberté reste limitée aux messages personnels, identifiés comme tels parce que le salarié en a limité l’accès.

Il est ainsi clair que le salarié bénéficie d’une large protection de sa liberté d’expression au travail mais peut-il pour autant tout dire dans et sur son entreprise ?

Quelles sont les limites de la liberté d’expression du salarié ? Quand bascule-t-il dans l’abus ?

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